dimanche 28 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 19

« réunis » est l’anagramme de « suriné », « urinés » et « ruinés » !

Je fixe mes sauveurs encagoulés. Et m’exclame :
- Vous ! Ici !
- Bravo les mecs, c’est le gros lolot ! maugrée Béru en enlevant sa cagoule. On l’a in the baba en profonde heure : not’ surprise du chef qu’est flanquée à la baille aux corneilles, biscotte z’êtes incapab’ d’fermer vos clapoirs pour la mett’ un peu en sourdingue. Dans l’genre dix-craies, vous êtes des peintures ! Pas duraille de vous retapisser : un môme d’treize ans, il vous soutif n’importe quelle info stop-secrète en deux tantes, trois moulements… V’là où ça mène de jaspiner à qui meuh meuh. Quand j’pense qu’j’ai failli r’noncer à mon rab d'Montbazillac dans le t’es-givré, soif disant que la vinasse risquait d’me perdre-turber dans l’turbin ! C’est pas moi qu’est saoul au point de rêver-laid notre présence ici en rend-fort, que je susse ? Alors, on s’décarcrasse pour s’mett’ en fouille un conducteur « Est-ce N ? c’est F ! » pour débouler z’ici coup d’eau corps en pleine nuit, on savate trois zigs pour récupérer leurs nippes et z’arriver su’l’champ d’bataille la tête en-taboulé sous ces bonnets étouffe-crétins pour naître reconnu de personne… tout ça en vin ! Biscotte ? J’va te l’dire Sana : biscotte môssieur Peinture Noire a des états-dames à bombarder les gentils truands Suze-dits, alors qu’en défi ni tif, y a pas trente-six r’mèdes : un’ bastos pour chacun, le comté bon !

Je mate, ébahi, Pinuche et Jéjé enlever leurs cagoules également. Même en voyant leur tronche mi-amusée par la situation, mi-déçues par la manière dont elle s'est révélée, je n’ose en croire mes yeux.
- Mais comment vous êtes vous libérés de vos impératifs parisiens ? m’émerveillé-je. Le conseil de discipline de Béru ? La maladie de Ramadée ? Et comment, comment se peut-il que vous vous trouviez ici ?
- Ramadée va mieux, lâche brièvement le Noirpiot. Et puis ça m’embêtait de te laisser seul, loin de nous tous.
- C’est l’rouque qu’est à l’orgie-gine d’la farce, assure le Gros. Semblerait qu’tu t’sentasses seulabre sans les aminches, d’après lui ! Z’alors ni lune, ni bœufs, il nous à râpe-à-trier ici dans ce bon vieux département des côtes du Rhône, nous, tes alcoolites.
- T’étais censé être bloqué à la maison poupoule jusqu’à ton conseil de discipline, Gros ! je m’exclame. Tu risque Grosse Pomme[1] !
- Pas d’soucis pour mézigue : j‘ai parvenu à con-vaincre la grosse Nadine de pas m’attaquer, triomphe l’Hénaurme. Toi qu’affirmais qu’j’avais tout faux en essayant d’lui r’proposer une grimpette ! J’l’ai eu par derrière, à la cantine, juss’ après ton départ. L’plus duraille a z’été d’planquer Popol en éruption sous mon plateau. Et d’résister à l’attentat-scions de jaffer l’cassoulet qu’j’m’étais pris ! Quand elle a voulu s’assoir, j’me suis précibité sur sa chaise –skié pas z’aisé avec le grimpant aux chevilles- et j’ai joué au bilboquet z’avec sa chaglatte. Du velours : la vachasse taille large et n'porte rien sous sa jup'. L’rodéo en public, c’est pas si simp’, mais j’l’ai faite bicher prop’ et net ! Après cette séance, l’était plus prête de d’mander un bisse queue de m’traîner d’vant les p’tits Bruno.
- C’était d’ailleurs inutile, intervient la Pine en s'échauffant. Tu sais très bien qu’avec le plaido… le plod… déployer… que j’avais échaff… achéfaud… échauffadé tu t’en serais sorti sans problème.
- César a quand même été utile pour le transport, intervient Jéjé : Mathias nous a prévenu assez tard et les TGV ne roulent plus après une certaine heure…
- Mon tailleur a un frère qui travaille aux Pétété, tu sais ? explique Pinuche qui s’est procuré une ceinture, mais dont la braguette est grande ouvert, de manière à ce que son triste slip reste visible. Et bien son autre frère est pilote de Tégévé, figure-toi… On l’a convaincu, moyennant une entrée gratuite à la ferme pédagogique de Saint-Locdu-le-Vieux, de nous conduire ici au plus vite pour ne pas rater le dénouement !

Qu’ils sont complémentaires ! Qu’ils sont cons, tout court… Qu’ils sont beaux… Qu’ils sont là ! Ils ont volé un TGV pour venir à la rescouscousse[2] ! Dis, t’en as combien des amis de ce gabarit ? Pour voir ? Ah, et le Flambé ! Ce cachotier sublime, ce mystérieux imprésario de notre groupe si génial… M’en vais te lui négocier une augmentation de 300%, moi ! Que peut-il nous arriver ? Quel danger ridicule pourrait gâcher ces retrouvailles ? Tu peux me le dire ?

Les chats me font marrer, avec leurs neuf vies. Où est le suspense ? Où est le marrant ? Qu’ils les gardent, leurs neuf vies, elles ne valent pas mes quatre lieutenants, mes quatre porte-flingues, mes quatre gaffeurs, mes quatre Huns, mes quatre -oserai-je le dire ?- fidèles amis ! (ah, tu vois, j’ai osé) Avec eux, je n’ai pas neuf vies, j’en ai cent ! J’ai ai mille !

Bon ! Puisqu’on est en famille, si on allait se boire une petit gorgeons de blanc ici où là ? L’affaire est résolue : Leton ne produira plus de drogue, Durêve ne fera plus assassiner personne. Tout est bien qui finit bien, non ? Ma liesse est partagée par le Gros, de toute évidence : quand il se met à siffloter « Les Matelassiers », c’est qu’il est heureux, Bibendum.
- Qu’est-ce que tu attends pour répondre ? demande Jéjé sans que je pige de quoi il cause.
- ‘ne minute ! temporise le Majestueux. L’début, c’est mon passage favori… on est pas aux fesses, si ?
- C’est ce brave Mathias, signale Pinaud en passant la tête par-dessus l’épaule de Béru.

Je remarque alors que l’air siffloté des Matelassiers ne provient pas de… euh… disons la bouche de Béru (faute de mot susceptible de qualifier plus précisément le clapoir de l’Immonde), mais de ce qu’il tient dans sa main, à savoir son portable.
- Avec Poilala, on s’est réconciliabulé, rigole Béru. Pour graver dans le bonze notre amitié réhabillée, on m’a enregistré une sonnerie d’portab’ en sifflant « Les Matelassiers » et un cubi d’rougeot ! L’problo, c’est qu’j’ai doré d’l’avant tant-danse à attend’ la fin d’la sonnerie pour décrochaga !
- Cesse de te poiler et réponds ! intimé-je (Béru et moi sommes quasi intimes, après tout).
- ‘ne seconde… là, n’écoute : « Voilà les matelas, les matelas, matelassiers qui paaaassent »… bon, bon, te mets pas en r’naud, Sana, j’va raie-pondre… Quoi t’est-ce, Rouque ? Ouais, ouais, tout s’est passé comme sur des boulettes ! Just’ le Noirpiot a pas su t’nir sa menteuse, on n’a pas pu faire le coude du gros tétonnement pour l’grand. T’eusses du v’nir avec nous, Rouque, même si que t’es pas trop un acidulé de l’action purée dure. Quoi-ce ? Parler au Tonio ? Faisab’, œuf corse. Sana, l’Rouillé sollicitre une converse !

Le gros me file son improbable téléphone, dont la touche 8 est remplacée par un câpre et la touche 1 n’est pas remplacée.
- Mathias ?
- Patron, il se passe des choses préoccupantes en bas, je préfère vous prévenir.
- Tu m’inquiètes ! Quel genre ?
- Le tout petit homme qui est entré tout à l’heure vient de ressortir de l’Isara avec un seul de ses hommes.
- Elémentaire, mon cher Mathias : les trois autres sont ici, plutôt trop morts pour se carapater.
- Ce qui est inquiétant, c’est qu’avant de s’enfuir, il s’est dirigé vers une fourgonnette et une voiture stationnées pas loin. Une dizaine de lascars en sont sortis, visiblement armés, et ils sont à présent dans l’enceinte de l’école.
- Merci du tuyau ! Laisse-nous nous démerder avec les truands, et suis le nain si c’est encore possible. Je te rappelle quand on est sorti du bourbier.

Je raccroche (si j’avais le sens du rythme, je ra-triolet-noire-double-crocherais !).
- Les gars, avez-vous croisé un nain en costard rital et son porte-flingue en arrivant jusque là ? demandé-je.
- Méga-tif, assure le gros. On a du les croasser : c’t’un vrai casse-dalle pour trouver son ch’min dans c’te turne.
- On est passé par un petit escalier secondaire en s'oirentant au bruit de la fusillade, ajoute Jéjé.
- On va jouer cassos par ce petit escalier sans attendre, mes drôles. Les spaghettis donnent l’assaut !
- Si les spaghettis donnent la sauce, pourquoi qu’on s’casse ? demande Béru.

Faisant fi de cette ultime remarque, nous faisons feu des deux fuseaux en direction du passage discret empruntés par mes fidèles (ils l’ont rendu après : la preuve, il est toujours là). Comme je m’y attendais, nous n’y croisons pas les malabars de Pozzi, qui ont probablement choisi la voie de leur maître pour grimper jusqu'au foyer.

Tout se goupil bien, comme dirait mon pote le renard ! Nous serons bientôt hors du guépier. Restera plus qu’à suivre la piste de Mathias pour coincer Pozzi. On le choppe, on le travaille deux minutes pour qu’il nous dise où est l’héro, on le fout au trou pour 200 ans. Ainsi, tous les malfrats de l’histoire mis hors d’état de nuire (pas ceux de l'Histoire, en revanche : que voulez-vous, je ne peux pas être tout le temps à la fois !).
- Eloi ! m’écrié-je soudain au moment où nous arrivons au rez-de-chaussée. On a oublié Joss Leton là-haut !
- Ah tiens, oui, merde ! Mais attends : il est pas mort ?
- Il a perdu connaissance après avoir pris une bastos dans la guibole. Mais il était vivant. Faut aller le chercher, sinon il va se faire ramasser par les gorilles de Pozzi.
- Trop tard, Grand ! s’exclame Jéjé.
- On a d’jà la patrouille su’l’derche ! ajoute Béru. T’entends pas ?

Clairement, on perçoit en effet le bruit d’une cavalcade au dessus de nous.
- Tant pis pour le chimiste, alors ! je peste. On trace droit vers la sortie.
- Pas la peine de s‘refaire un duel à OK Chorale, confirme le Gros. Faut mett’ la gomme recta !
- C’est bouché par devant aussi ! bêle Pinuche, qui vient de passer la tête dans le grand hall.

Je risque un œil, à mon tour (c'est relativement peu : Pozzi, lui, risque perpett'). Trois hommes de Pozzi sont restés en couverture car après tout les malfrats aussi peuvent avoir froid. Ils matent dans une direction qui n’est pas la notre (chacun sa direction, quoi, merde !) : en les bombardant simultanément tous les quatre, on devrait pouvoir se dégager un passage jusqu’à la sortie.

Las ! Au moment où je m’apprête à haranguer les autres, La Pine s’étale bruyamment et de tout son long en direction du hall. Cherchant probablement à débusquer une issue, Pinuche s’est avancé un peu avant de se prendre les pieds dans la doublure de son pantalon.

Naturellement, les trois porte-flingues postés dans l’entrée se muent en utilise-flingues instantanément. Au-dessus de nous, la cadence des foulées s’est sensiblement accélérée.
- Bougre de truffe ! m’emporté-je en tirant la Pine à l'abris. Quand on ne tient pas debout, on rampe !
- Ce pantalon n’est pas à moi, gémit la Baderne. Je l’ai pris aux brigands dont nous avons pris la place tout à l’heure, qui avait de bien plus gros mollets…
- Nous v’là beaux, les gars, pris z’entre deux feutres ! s’écrit l’Immonde.

Va encore falloir trouver un Deus et une ex-machina, j’ai l’impression !

[1] Sans doute fallait-il lire "T’étais censé être bloqué à la maison poupoule jusqu’à ton conseil de discipline, Grosse Pomme ! Tu risque gros !"
Signé : l'Editeur
[2] Dixit Béru

mercredi 24 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 18

« Mastard Attitude » et « Mon comportement de vedette » peuvent parfois se rejoindre.

Ah, vraiment ! Du suspense aussi insoutenable qu’une idée du FN, t’en vois rarement autant que chez moi ! Nouveau rebondissement, donc. Un homme pas bien grand vient d’entrer dans le foyer. Sur la pointe des pieds et bras tendu, il pourrait peut-être réussir à titiller mon téton gauche (plus bas que le droit d’un demi-centimètre). Il est fringué maffieux : costard noir à fines rayures blanches, chemise noire, cravate violette. Il fume un cigare long commac et est encadré par deux mastards qui nous tiennent en joue avec deux jolis pistolets automatiques. Pas besoin d’être trop finaud pour deviner de qui il s’agit.

Pour ceux d’entre vous dont le cerveau va aussi vite qu’un discours de Raymond Barre, Joss Leton souffle la réponse :
- Monsieur Pozzi ! braie-t-il.
- Ciao, Joss, répond Pozzi en rital et avec une certaine froideur dans texte.

Un truc qui m’épate assez, c’est le professionnalisme de Durêve. Des nerfs comme les siens, t’en ferais un câble de téléphérique pour obèses ! En effet, à l’arrivée de Pozzi, Durêve, qui tournait le dos à la porte, s’est bougé juste d’un quart de tour sur la gauche en gardant le bras droit le long du corps : ainsi, son magnum reste hors de vue des mafieux. Un élément à prendre en compte au moment où les salves (et non pas les slaves) vont commencer à péter dans tous les coins.

- Tu ne devineras jamais ce qui m’arrive, Joss, annonce Pozzi. Incredibile ! On m’a raconté, la semaine passée, qu’une marchandise extraordinaire se vendait sur la côte. De l’héroïne extrêmement pure. 100% pure, même ! Tu te rends compte ? En plein sur mon territoire. Molto sfortunato ! Questione : qui pouvait bien me faire une concurrence pareille ?
- Aucune idée, Monsieur Pozzi, répond Joss comme un fion larguerait une colique. Je ne m’occupe pas de vente, juste de production et…
- J’ai commencé une enquête, coupe Pozzi, et j’ai repensé à un de mes chimistes français. Un original que je n’ai jamais cru quand il affirmait être en mesure de produire une héroïne de ce type. J’ai dépêché mes hommes à ton labo pour te présenter mes excuses et pour te prier de relancer tes travaux sur cette dope parfaite : d’importants grossistes commençaient déjà à se presser sur la côté pour se fournir chez mon mystérieux concurrent. Maledizzione ! Mes hommes ont affirmé n’avoir trouvé personne chez toi. Et par-dessus le marché, le labo semblait ne pas avoir servi depuis une paye ! Sorprendente, no ?
- Je… travaille ici, désormais, explique Joss qui me paraissait pâle il y a une minute et qui désormais semble avoir avalé 5 kilos de poudre à lessive persil. J’ai fourni ce que je vous devais, je n’ai rien à me reprocher…
- Pour ça je ne me plains pas, admet Pozzi. Quoi qu’il en soit, le temps que mes hommes te repèrent, j’ai réussi à mettre la main sur mon concorrente de la côte. Je l’ai un peu interrogé en montant sur Lyon. Aldo ? Matteo ?

Les doigts du nain maffioso font « snap ! », et deux autres gorilles apparaissent, tenant dans leurs bras une sculpture d’Archimboldo. Très réussie : deux reines Claude pour les yeux, deux quarts de pomme gala pour les lèvres, une grosse fraise bien mûre pour le pif, et l’ensemble du visage en groseille écrasée. Les deux hommes de main balancent la sculpture d’Archimboldo qui s’avère être en fait Walter Paulo, mortibus autant que décédé. Joss identifie l’œuvre d’art comme tel, en tout cas.
- Walter ! geint-il en prenant un teint de vieille chaussure jamais cirée.
- Te voilà bien ému… et pour le figlio di una cagna qui t’a roulé dans la farine, en plus ! remarque Aldo, un peu taquin.

De mon côté, je crois surtout que Joss se voit très bien dans le rôle du prochain Archimboldo-fruits-rouges, et que ça ne le réjouit pas trop. Pozzi annonce :
- Ce Walter est un loquace, figure-toi. Marrant ce qu’il m’a dit sur l’origine de la came. Tu veux savoir ?
- Monsieur Pozzi ! s’écrie Joss (et s’écrit cette phrase). Ok j’ai essayé de vous doubler, mais je suis prêt à tout recommencer… recommencer pour vous !
- Che interessano ! ironise Pozzi.

Moi tu sais, le numéro à trois francs (anciens) de Pozzi, on me l’a fait trente-six fois, et ça commence à me tartir en plein. Le chef de l’organisation de malfrats, doucereux et ironique quand il est en position de force, ça va bien une minute ! Personne n’est dupe, à la fin. Il va fait tirer ses soubrettes sur nous tôt ou tard, on l’a compris, merci. A quoi bon en faire des tartines ? Je m’emporte donc :
- Et si vous nous disiez clairement ce qui va se passer, mon vieux ? Vous croyez vraiment qu’on a que ça à fiche d’écouter vos tartes à la crème maxi-formats ? Vous voyez pas que Leton a déjà chopé un ulcère carabiné à vous entendre faire le kakou de bas-étage ? Ça vous bicher de le martyriser à ce point ? Faites péter les ordres, nom de gu : quid de Leton, quid de nous, et li-quid vaisselle. Presto !

Le gars Pozzi a appris son rôle par cœur : il ne s’énerve pas et se contente de soulever son sourcil gauche des 2.27 centimètres réglementaires, comme stipulé dans le Guide des Maffieux à la Noix, chapitre « Flegme face aux provocations des futurs assassinés ». Et pour rester sur la ligne jusqu’au bout, il refait « snap ! » avec ses doigts.
- Liquidez-moi les baudruches, pas touche à Joss pour le moment.

Les quatre hommes de Pozzi opèrent lentement : ils ignorent la présence du python à mes pieds et celle du magnum dans la main de Durêve. Pour eux, ça ne va pas être bien dur de nous faire notre fête. Comme quoi il ne faut jurer de rien !

Je plonge au sol à l’instant précis où Durêve se jette derrière un canapé du foyer. Jusque là, nos Dalton croient à une pulsion désespérée : on se planque pour prolonger nos misérables vies d’une minute. La gueule des mecs quand on se met à défourailler ! Pozzi, tout soudain, perd son flegme : en 1 seconde et 33 centièmes, il a vidé les lieux et je le soupçonne également de vider sa tripaille dans son bénard !

Les quatre gorilles se jettent à leur tour derrière tout ce qui pourrait être plus solide qu’eux. Le python et le magnum font du dégât : ni Durêve, ni moi-même n’avons touché qui que ce soit, mais nous laissons de gros trous dans tout ce que nous atteignons. Ça fait flipper, ça impressionne ! Quand deux gros calibres s’en prennent à toi, il faut toujours un petit moment avant de se lancer dans une riposte valable, ce qui me laisse le temps de faire un point non pas d’exclamation, ni même d’interrogation, à la rigueur de suspension, mais avant tout de récapitulation.

Eloi reste connement assis, droit comme un angle du même nom, devant son bureau. Je me jette jusqu’à lui, renverse le susdit bureau et fait verser le tabouret du gone, qui bientôt se trouve comme moi nez-à-nez avec les moutons de poussière du foyer de l’Isara. Ce qui ne le fait pas bêler, mais plutôt éternuer. Et alors, miracle : soudainement, il retrouve ses esprits, sa lucidité, sa clairvoyance, son acuité, sa conscience et son libre arbitre (faut quand même être sacrément bordélique pour perdre tout ça !).
- Ça bastonne comme à Chicago ? il demande alors que les sbires de Pozzi commencent enfin à jouer le jingle de RTL avec leurs gachettes.
- C’est vrai ! Et dans notre bande on est que deux ! l’informé-je. Bientôt plus, j’espère...

En plongeant au sol, j’ai récupéré mon arme en même temps que mon portable. Le fin du fin est que l’engin en question fonctionne depuis l’arrivée de Durêve ici-même : j’ai réussi à lancer discrètement un appel vers le Rouillé juste avant que le barbu ne m’intime de poser mon tubeur au sol. Le temps que j'ai réussi à gagner a du permettre à ce cher Ma-chiasse (pardon : Mathias) d'organiser une riposte.
- Mathias ! je crie dans le téléphone. Il va falloir te grouiller, et surtout pas te Grouchier !
- Les renforts sont en route patron ! répond le Flambé.

Je n’en saurais pas plus : mon téléphone, qui ne vient pas plus de Bâle que du bal, vient de morfler une... tu sais quoi ? Bon. Paul Uduku, lui aussi, a tenté d’arrêter la trajectoire d’une bastos avec la tête : balle lui en a pris (si j'ose dire), il s’est affalé tel un flamby. Joss Leton s’est, lui, ramassé un projectile perdu dans une guitare avant de s’écrouler sur le sol en hurlant de douleur.

Pendant quelques secondes, rien de bien décisif ne se passe : on défouraille tous un peu au pif. Personnellement, je n’ai repéré que trois maffieux. Le quatrième, je l’ai perdu de vue quand je m’occupais du gone Eloi. Tant pis : je me concentre sur l’un des autres. Tiens, ce maigrelet, là, mal planqué derrière la machine à café et avec sa coiffure en dessous de bras… poum ! Entre les lotos, et une bonne dose de cervelas sur le mur derrière lui !

Un instant, je crois avoir fait d’une pierre trois coups : le silence vient de tomber sur le foyer. Tombé de haut, en plus, apparemment ! Je risque un lampion au dehors : trois nouvelles silhouettes armées viennent de rabouler. Il s’agit des trois hommes encagoulés de Durêve, avec leur dégaine de couverts. Ils ont dézingué les deux maffieux restant par derrière, mettant fin à l’échange d’amabilités. Ça m’arrange assez, je n’ai plus une seule balle en magasin. Mais en même temps, y gagne-je vraiment ? Pas sûr que ces nouveaux protagonistes me laissent faire recharge !

- Vous êtes au poil, les gars ! souffle Durêve en se relevant. Va pas falloir lambiner, la rousse devrait rappliquer en moins de deux. Terminez-moi ceux qui sont encore vivants, sauf Joss : je crois qu’il faut faire une croix sur les 250 kg de came, faudra donc relancer un labo de *PAN* argl ! mais putain qu’est-ce qui vous prend de *PAN* aïe, arg *PAN-PAN* raaaah…

Je suppute que tu es surpris autant que moi de constater que l’un des hommes de Durêve, en l’occurrence l’Assiette, vient de vider une partie de son chargeur sur son employeur. Pour Durêve aussi, visiblement, l’évènement était quelque peu inattendu. J’entends le couteau rouscailler :
- T’es chié à n’en plus pouvoir, ma parole ! On le connaissait pas ce mec, merde !
- Et ceuss’ qu’on vient juss’ de bousiller par l’prosib’ t’avais leur Curry Cul l’Homme Vite-taillé dans ton attache-et-caisse, peut-être ? demande l'assiette.
- Ceux-là étaient dangereux, Alexandre-Benoit, car ils menaçaient directement notre ami, il était donc normal d’agir, intervient la fourchette d’une voix de vieux bouc constipé. Je crois que Jérémy a raison : celui-ci ne représentait aucun danger.
- I’v’nait de slipuler de manière clarinette une demande d’assassinat sur la personne de Sana ! riposte l’Assiette. Fallut-ce que je lui fisse un calin ?

J’ai envie de chialer ! Pas toi ?

samedi 20 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 17

Un bon suspect doit être comme une bonne planche de bois : il reste ponsable mais pas coupable

Tout le monde me regarde avec attention. L’envie de raconter une blague de Toto me passe par le ciboulot, mais la raison me retient : mes trois interlocuteurs sont tendus comme le slip de Béru s’il mettait un des miens. C’est qu’ils attendent ça depuis des jours, ces lascars ! le blaze de celui qui les a entubés. Je reprends, pur dent (mais également prudent) :

- Mais il va de soi que je négocie l’info, les gars.
- Rien du tout ! s’exclame Joss. Tu parles ou tu crèves !
- Commissaire, reprend Durêve avec plus de douceur. Nous avions une liste de dix suspects. Trois sont déjà canés. Quatre autres ont été éliminés auparavant de la liste, sans violence : leurs emplois du temps prouvent avec certitude qu’ils n’étaient pas à l’Isara à la date du vol. Sur les trois restants, deux sont sur mon planning de demain. Vous comprenez ? Demain, je saurai, directement ou par élimination, qui a volé l’héroïne de Joss. Je n’ai pas besoin de vous, je pourrai vous tuer maintenant. Mais en parlant, vous pouvez épargner jusqu’à deux vies innocentes tout en me faisant gagner du temps et en supprimant pour moi des risques inutiles.
- Alors laissez au moins Eloi repartir, imploré-je.
- A la rigueur… concède Durêve. S’il sort de sa léthargie sans souvenir, comme Joss le prévoit…

A quoi bon ? Ils vont tuer Eloi, ils vont tuer Uduku et me tuer également ! C’est tout au moins leur intention, j’en suis sûr. Je serais prêt à parier un PC portable contre le PC chinois ! Je ne négocie, in fine, que pour donner de la crédibilité au blabla que je m’apprête à proférer. Je chique le gars en plein dilemme pendant une minute… puis je passe à table :
- Le voleur, c’est Walter Paulo.

Les gueules de Leton et Durêve s’allongent soudainement. Celle de Paul Uduku prend l’air con. Le môme huileux demande :
- C’est qui celui-là ? Il a bien deux prénoms, mais il est pas sur la liste !
- C’est le frère de Joss, le veilleur de nuit, répond Durêve qui n’a pas l’air de plaisanter. Monsieur le commissaire se moque de nous.
- Ah bon ? je demande, ironique. Celui qui s’est fichu de vous, c’est pourtant le frangin de Joss.
- Menteur ! s’écrie Joss. Supprime ce bâtard, Yvan ! Il se paye notre tronche !
- Faux ! je riposte. Ton frérot t’a doublé, c’est tout. Comme Yvan l’a dit tout à l’heure, l’Isara est trop fréquenté le jour pour qu’on escampe plusieurs centaines de kilos de drogue sans être vu. Et la nuit, le bâtiment est sous surveillance… la surveillance de qui, déjà ?

Si tu aimes les bouches béantes, fais-toi plaisir ! Ma théorie les fait réfléchir, dirait-on. Je reprends :
- Il y a autre chose : quelle est la probabilité qu’un individu, prof ou élève, passe sa tête dans le faux-plafond d’une salle d’étude ? Le voleur connaissait la planque, c’est évident. Qui avait cette information et pouvait évacuer les paquets en toute discrétion ?
- Yvan, murmure Joss… tu crois que…
- Walter Paulo vous a envoyé sur une piste complètement bidon ! j’enchaîne, déchaîné. Il a été très bon, je le reconnais. Le texte de son fax a naturellement été calculé en fonction des ratures provoqué par l’appareil. Walter a parfaitement su vous forcer à suivre cette fausse-piste. Son effraction du logiciel de la badgeuse a entraîné une protection plus grande de celui-ci : impossible pour vous de retourner consulter la liste des individus ayant pénétré dans la fameuse salle d’étude ! Et tant mieux pour lui, car la seule personne suspecte sur celle-ci, c’était… lui, justement, à des horaires nocturnes ! En plus, ça lui a donné un prétexte en or pour s’esbigner : « les gars, avec cette effraction, mes employeurs à l’Isara se méfient de moi, je prends l’air un moment », tu parles ! Il s’est taillé avec le magot, oui !
- Bon dieu, jure Durêve. Ça me semble tenir debout.
- Pourquoi je n’y ai pas pensé ? peste Joss, qui est blême comme un ciel d’hiver Norvégien[1].
- Walter a sans doute pensé que vous le croiriez, je suggère. En braquant le logiciel de contrôle des badges, il vous a en sus donné l’impression de participer à la traque, ce qui l’innocentait d’autant plus a priori.
- Alors les doubles noms, ça rime à rien ? demande Paul Uduku avec un air ahuri.
- Oh que si ! je réponds. Autre coup de génie de Walter : vous donner assez d’indices pour vous lancer sur le sentier de la guerre, sans être trop précis. Il a bien calculé : une liste de dix noms, c’est raisonnable… une enquête est encore envisageable à court terme. S’il y en avait eu 25, vous auriez certainement fait plus d’efforts pour essayer de retrouver la piste de Walter ! En choisissant le critère du double nom, il vous a poussé à l’action directe, s’assurant un répit suffisant pour disparaître. Le plus fort est qu’il porte lui-même un double prénom ! Mais, travaillant pour une société de gardiennage, il n'est pas dans les registres de l'Isara...

Dans le foyer de l’Isara, on n’a sans doute jamais cuisiné une telle soupe à la grimace !
- Alors ce bâtard est en train de refourguer ma came tranquillement pendant que je perds mon temps et mon argent à traquer des fantômes ! s'emporte Joss.
- Pour le moment, c'est moi qui dépense du fric, intervient Durêve qui, s’il vient du sud, ne perd pas le nord. J’ai fait jouer tout mon réseau de crapules, j’ai avancé les honoraires d’une armée de truands : faudra passer à la caisse.
- Avec quel argent tu veux que je te paye ? s’énerve Joss. Quand je t’ai contacté, je comptais te rémunérer avec l’argent que tu m’aiderais à retrouver ! T’as trouvé que dalle, t’auras rien !
- Alors faudra me donner la recette miracle de ton héroïne 100 % pure, mon grand. Parce que je ne repartirai pas d’ici les mains vides.
- Va crever ! lâche Joss. C’est mon travail, pas question de le brader.
- Alors tant pis pour toi, et pour vous tous, menace Durêve. Il y a trois tueurs, que j’ai également payés d’avance, au rez-de-chaussée : il ne sera pas dit que je les ai dérangés pour rien.

Durêve, qui nous tient désormais tous en joue, sort son portable :
- Les gars, dit-il, merci de monter au troisième, y a quatre bonshommes à expédier le nez dans la poussière.
- … ! dit son interlocuteur, pointilleux.
- Non, non, c’est fini, la dentelle. Une balle dans la nuque et ça ira bien.
- … ? demande l’interlocuteur (sans doute un bavard !).
- Non, oubliez les voitures piégées, le plan a changé. A tout de suite.

Dire que Joss Leton est furibard, c’est être un peu en dessous de la vérité, je crois. Tu penses : perdre en aussi peu de temps l’affection d’un frère, 500 millions d’euros et la vie, ça vous marque un homme !
- Tu nous tues ? il demande, fébrile.
- Non, je n’aime pas me salir les mains, tu le sais. Mais je vous fais tuer ! Attention, commissaire, je sais néanmoins appuyer sur une gâchette au besoin.

Durêve a des nerfs solides : malgré la tournure casse-gueule qu’a pris la situation, il n’a pas baissé la garde d’un cachou, et il vient de repérer mon premier petit geste en sa direction pour tester sa vigilance.
- Tu comptes peut-être produire sans moi de l’héroïne pure pour te payer ? demande Joss.
- Pas besoin : je vais retrouver Walter et lui faire cracher les 500 millions.
- Il s’est barré ! s’emporte Joss.
- Je vais pas me laisser baiser par un veilleur de nuit, moi ! répond Durêve. Ton frère est un malin, mais il n'y connait rien en magouille. Je suis sûr que sa piste est jalonnée d’indices bien voyants.
- Je ne vous le fais pas dire, annonce une voix depuis la porte du foyer.


[1] C’est pas beau, ça ?

mardi 16 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 16

« La rose heure à rosée » correspond bien au petit matin

Il y a un truc dont on ne parle pas assez. Pour être plus précis, disons plutôt qu’on en parle sans y mettre la gravité y afférant. L’arroseur arrosé… ça fait plutôt poiler, avoue ! T’imagines un gusman voulant placer un seau d’eau au dessus de la porte pour tremper son pote. Manque de bol (d‘eau), le gars arrive en avance, et ouvre la porte pendant que le premier prépare son gag. Moralité : le blagueur patenté (et pas tenté par l'humour raffiné visiblement) termine avec le seau sur la poire. Ha ha, on rigole ! Pas vrai ?

Mais si t'es le type au seau d'eau ? Tu prépares la vannes de l’année, et au moment de la mettre en pratique, tu sens à travers ton futal que quelque chose de pointu te titille le fion. Y a-t-il plus humiliant ? Oui, sans doute, mais n’empêche que c’est désagréable. Et surtout, quand le seau est remplacé par une arme de poing, une dimension dramatique se fait jour. C’est un peu ce qui arrive présentement. Durêve a quitté les gogues plutôt que prévu, et il vient de me tomber sur les endosses.

Je raccroche. A quoi bon appeler par téléphone un gonze qui se trouve quelques centimètres derrière vous ?
- Belle sonnerie de portable, Yvan ! je dis. Vous me direz quel laxatif vous utilisez ? Il est si dur de trouver un remède efficace contre la constipation !
- Méfiez vous, Commissaire : vous ne savez pas où votre morgue pourrait vous mener.
- A la morgue ? je tente, taquin.
- Amusant ! Je suis heureux de vous voir bavard. Vous allez peut-être pouvoir me tirer une épine du pied.
- Je sais qui vous a chouravé la dope, Durêve, je réponds d’un ton péremptoire. Enfin disons que j’ai de sérieuses présomptions.

Je suis chaud, tu en conviendras, de balancer de pareilles déclarations !
- On ne perd pas de temps, au moins ! lâche Durêve. Mais d'abord : posez cette arme et ce téléphone au sol, et retournez-vous.

Je m’exécute (pour ne pas qu’il le fasse !). Ce barbu trapu a un magnum dans la main, un gros bide, un dargif énorme, et des cheveux quasiment crépus. On dirait effectivement un peu un bucheron sympa. Alors qu’en fait, il s’agit d’une ordure qui fait tuer des gens innocents pour se faire des testiboules en or sur de la drogue. Comme quoi, les impressions…
- Je vous écoute, commissaire. Qui a volé la marchandise ?
- Je n’ai pas le nom, là, en l’état, je précise. Un ou deux indices me manquent. En fait, pour y voir clair, je dois en savoir plus sur Joss Leton et son contact Isarien "WP", signataire de ce fax.
- Pourquoi ça ?
- Pour être sûr de ne pas vous donner une mauvaise cible, Durêve. Trop d’innocents ont été tués. Je ne me fais pas trop d’illusion sur le sort que vous me réservez. Idem pour Eloi, et même pour Uduku. Mais je veux être sûr que, si je n’arrive pas à vous foutre au gnouf pour la durée correspondant à la dégueulasserie de vos crimes, au moins le massacre aveugle cesse.

Durêve n’est pas un truand pur et dur. Les armes, ce n’est pas son business favori. Néanmoins, sa vigilance est telle que je dois gagner du temps, à défaut d’envisager une action d’éclat. Leton et Uduku commencent à s’agiter un peu : ils reprennent leurs esprits. Eloi, lui, continue à imiter une loutre paraplégique regardant un épisode de Colombo. A part le bluff, que me reste-t-il ?

- Ok, commissaire, je vous exauce, déclare Durêve. Que voulez-vous savoir ?
- « WP » travaille à l’Isara, je l’ai deviné. En quelle qualité ? Quel sont ses rapports avec Joss Leton ?
- Walter Paulo est le demi-frère de Joss, et il est habituellement veilleur de nuit ici. C’est tout simplement lui qui a ouvert les portes de l’Isara à Joss contre une part du magot. Ça répond à votre question ?
- En partie seulement, car après tout, je ne pige pas un turc : pourquoi diable avoir stocké la dope ici ? En quoi l’Isara offrait-elle plus de garanties qu’une autre planque ?
- Mais parce que personne n’était censé soulever ce faux-plafond ! s’exclame Durêve. Parce que ce bâtiment est hermétiquement fermé et surveillé en permanence la nuit, et que l’affluence y est telle le jour qu’il est normalement impossible de se tailler avec 250 kg d’héroïne sur les épaules. Mais surtout, et cela semble vous avoir échappé, parce que l’héroïne est produite ici-même, clandestinement, toutes les nuits depuis plusieurs mois !

Stupeur et stupéfiants ! De l’héroïne, produite à l’Isara ? Je revoie en flash Jean Roquet, PDG de cette vénérable école, se moucher dans mon veston en sanglotant sur ses superbes laboratoires flambants neufs et hyperfonctionnels, mais inutilisables le temps de l’enquête. Des labos de pointe…

- Alors, commissaire, ça fait tilt ? sourit Durêve.
- Joss Leton produit de l’héroïne dans les labos de l’Isara ?
- Exactement !
- Mais qui peut bien lui fournir la matière première ?
- Ce brave Pozzi, bien sûr !
- Je ne vois pas qui c’est, avoué-je un peu trop spontannément.

Joss est debout, maintenant, et Uduku semble récupérer un peu. Durêve, lui, devient suspicieux. Mes questions sont peut-être un peu trop grosses de la part d’un gars censé tout savoir.
- Durêve, mon enquête portait d'abord sur les meurtres, puis j'ai découvert la disparition de la came, mens-je... Je ne sais rien sur sa provenance, mais il ne me manque un ou deux liens pour tout piger. Si vous voulez savoir quel est le double nom qui trotte dans mon cervelet, il faut m’affranchir.
- Bien, admettons, souffle Durêve qui de nouveau et heureusement semble voir en moi un caïd de l’enquête. Pozzi est un grand dealer de la région sud-est de France. Il travaille pour une branche de la mafia napolitaine. C’est lui l’employeur de Joss. C’est lui qui le fournit en matière première.
- Pozzi, pendant des années, m’a chargé de la production d’héro pour Lyon et les environs, affirme Leton en se massant le crâne. L’équipement nécessaire à la production est sommaire même si un laboratoire et des compétences minimums sont requis pour obtenir un produit de qualité. Le hic, justement, c’est que pour Pozzi, l’héro n’est qu’une production d’appoint. Il ne me demande pas de la came de qualité, et donc ne voit aucun inconvénient à ce que je travaille dans de mauvaises conditions. Dans le labo pourri de Pozzi, je gaspillais jusqu’à 75% de la matière première pour produire de l'héro de merde !
- Je vois, dis-je pour me redonner une contenance. Le chimiste de haut niveau que vous êtes, disciple du professeur Jumel, s’est trouvé blasé de voir son potentiel gâché par un maffieux de pacotille, me trompé-je ?
- Exact ! approuve Joss. D’autant plus que je travaillais sur l’élaboration d’une héroïne pure à 100% ! Une denrée jusque là inexistante ! Un produit plus rare que l’or ou que n’importe quelle matière rare ! J’ai inventé l’héro à 100%. Une marchandise parfaite que je savais ne jamais pouvoir produire dans mon labo.
- C’est alors que votre frelot vous a parlé de son travail de veilleur de nuit dans une école toute neuve pleine de labos très modernes ! je conclue.
- Exactement ! Il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que je pouvais ici finaliser mes travaux, puis entamer une production. Il a fallu du temps… déjà, j’ai du continuer à fabriquer une petite quantité de camelote pour Pozzi, pour qu’il ne se méfie pas. Dans les installations isariennes, c’était heureusement faisable sans aucun gaspillage. Je coupais mon héro avec de la crotte pour qu’il ne voit pas la différence. Le reste me servait pour la production de l’œuvre de ma vie : un stock entièrement pur à 100%. Il m’a fallu des mois pour obtenir une réserve de 250kg. Un beau pécule pour commencer à voler de mes propres ailes en toute sérénité... Cela peut sembler modeste, commissaire, mais cela représente une fortune ! Plus de 500 millions d’euros : c’est vous dire si quand la marchandise a disparu, j’ai perdu gros[1] !

Un ange passe. Sans, hélas, faire le don d’un peu de poussière à Joss Leton ! (jeu de mots ici : poussière d'ange). Je pige de mieux en mieux. Je comprends pourquoi Durêve joue la discrétion à outrance en tuant toute personne contactée, quitte à attirer l’attention de la police. Leurrer la flicaille en la poussant à droite sur une piste de meurtres réalisés par de petites frappes pour qu’elle n’aille pas voir à gauche où se trouve une affaire de stups hors normes.
- J’y vois plus clair, les gars, déclaré-je. Mais deux détails me turlupinent : l’un d’eux, c’est la gestion du cas Fabien Henry. L’autre est celle du cas Jeannot Reliure.
- Dans les deux cas, nos choix s’expliquent par la volonté de diversifier et brouiller les pistes menant à nous, raconte Durêve. Quand Paul nous a annoncé qu’un de nos suspects montait sur Paris, nous avons voulu sauter sur l’occasion d’agir ailleurs qu’à Lyon. Alors, bien sûr, ça a desservi l’entretien que j’ai eu avec lui : impossible d’évoquer le vol de 250kg d’héroïne en plein salon de l’agriculture ! J’ai essayé de le faire lire entre les lignes, mais son manque de réaction en disait assez long : il n’avait rien à voir avec notre affaire. Je ne regrette pas d’avoir agi ainsi, même si c’était plus risqué. Vous-même, vous avez du avoir du mal à connecter ce meurtre aux autres.
- C’est vrai, admets-je. Mais Reliure ? Pourquoi le faire tuer Gigonnade ? Ce n’est pas un prénom, que je sache !
- Nous avons, encore une fois, souhaité tirer sur toutes les ficelles possibles. Paul nous a parlé de la haine de Reliure pour Gigonnade. Une excellente diversion, d’après nous. Nous avons brouillé la piste des prénoms doubles tout en créant, pour ce meurtre, un coupable et un mobile en béton !
- Ce demeuré de Reliure nous fourni en plus la cachette idéale pour planquer son cadavre sans se fatiguer. La perspective de palper une petite fortune l’a rendu loquace. Il était tellement fier de son baisodrome souterrain qu’il n’a pas pu résister à la tentation de nous faire une démonstration...
- Tout a marché comme sur des roulettes, ajoute Durêve : la grosse est morte dans la journée : Joss et Paul ont eu tout le loisir de placer son corps dans la malle. L’avorton a cané dans la soirée, pile poil quand il est repassé chez lui pour récupérer sa mégère. Il n'y avait plus qu'à le pousser dans son souterrain.
- La différence entre les heures de décès, c’est à cause de la corpulence plus importante de la grosse, explique Leton. Le Iapamordum est plus actif sur les corps gras.
- Bravo pour ce travail d’orfèvre ! j’ironise. Mais j'ai découvert les corps, et votre ruse tombe un peu à plat -de nouilles empoisonnées, ajouté-je pour la blague.
- Bah ! lâche Durêve. Nous sommes sur le point de trouver notre voleur, et vous êtes le seul poulaga à nous savoir mouillés.
- Qu'en savez-vous ?
- Je vous connais ! Pas du genre à prévoir un fourgon de CRS quand vous enquêtez... J'ai développé un sacré réseau de crapules quand j'étais en prison. Un réseau qui m'a assez bien informé sur vous. Je sais que vos habituels lieutenants sont tous retenus à Paris, Commissaire. Vous êtes venus ici seul, mais en avance, pour nous surprendre. C'est raté ! Va falloir parler maintenant.

Un nouveau silence. D’ici peu, il va falloir que j'allonge une fable crédible et un coupable. J’ai fait baver mes adversaire un maximum, maintenant ça va être mon tour. Tu me vois dans la merde, pas vrai ? Et bien écoute un peu ce que je déclare à mes vilains :

- A la lumière de ce que vous m’avez raconté, messieurs, je suis en mesure de vous dire qui s’est fort probablement approprié votre bien.

Je suis chié, non ?

[1] La rime, bien que suffisante, mériterait d’être riche !

vendredi 12 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 15

Où l’on découvre qu’utiliser un fax à l’ère e-mail peut vous donner l’air e-diot

Tu te rappelles certainement de la fois où tu es revenu chez toi d’une convention avec deux jours d’avance. Ta femme faisait la vaisselle en jupe, et toi, mutin, tu lui avais calé un doigt dans l’oigne par surprise. Quand elle avait dit « Que c’est bon, Ernest ! » alors que ton blaze est Jean-Louis, tu avais compris que ton meilleur ami, qui lui, pour le coup, s’appelle Ernest, t’avait légèrement mystifié. En remontant du doigt coquin jusqu’à ta bobine, ta femme avait pris un air de totale stupéfaction, tu t’en souviens ? Et bien Leton et Uduku vont avoir le même dans un instant.

Quand je suis entré, en effet, ils ont gardé le pif dans leurs papelards respectifs, persuadés qu’ils étaient que j’étais Durêve (voilà le genre de formule qui me sépare de l’académie Française… flûte alors !).
- Tout va bien en bas ? demande distraitement Joss Leton.
- Oui : Papa fait du chocolat. Je me suis permis de monter en haut pour voir si vous faites du gâteau ? Et au besoin pour vous aider à faire dodo, mes p'tits frères.

Comme annoncé : stupeur sur les tronches. Puis douleur sur celle de Joss qui écope d’un bon coup de crosse dans le temporal. Et moi, superbe :
- Fini de luire, mon petit Paul ! Je veux dire fini de rire. Va falloir me donner des infos, et sans tarder, bitte schön. Je ne suis pas très patient, c’est bien intégré ?

Le visage gras du gamin devient carrément gélatineux. Il acquiesce néanmoins.
- Parfait, je dis. Première question : qu’avez-vous fait au Saint-Eloi pour qu’il soit aussi légume que les conserves du même nom, et jusqu’à quand ça va durer ?
- C’est m’sieur Leton, m’sieur, répond Uduku en tremblotant. Il lui a fait sniffer un de ses produits magiques pour lui faire perdre sa volonté, m’sieur. Ça ne devrait plus durer longtemps, m’sieur.
- Bravo ! Autre question : qu’est-ce que vous voulez, toi et Durêve ? Pourquoi vous faites un carnage ?
- C’est pas moi, m’sieur !

Ma parole il se chie dessus ! Je m’approche et lui flanque une taloche des familles, ce que je regrette immédiatement, tant j’ai l’impression d’avoir flanqué la main dans une île flottante version grassouillette : une motte de beurre dans un saladier d’huile. Ça a au moins le mérite de sortir Uduku de sa torpeur.
- Je te demande pas qui, merde ! tonné-je. Je te demande pourquoi. Parle, lopette !
- J’sais pas moi, m’sieur, il chiale. C’est m’sieur Leton et m’sieur Durêve qui sont venu me chercher, mais j’sais quasi rien !

Là, je ne comprends plus. J’étais persuadé que Joss Leton, comme Enkula Jacek ou Jeannot Reliure, n’était qu’un exécutant. Un pro recruté pour son talent de chimiste (bombe pour Gigonnade, poison pour Reliure, drogue docilisante pour le gone, gaz somnifère pour le veilleur de nuit, etc.). Alors il serait aussi partie prenante dans l’organisation de cette affaire ? Moi qui lui ai filé une torgnole pour l’endormir d’entrée, j’ai l’air finaud ! Je reprends :

- Si t’es pas dans le secret des Dieux, tu dois bien avoir deux-trois tuyaux à me filer. Pourquoi t’es mêlé à ça ? Aboule !
- Bin je sais pas ! Il n’y a pas longtemps, M’sieur Durêve m’a contacté. J’le connaissais pas, ce type ! Mais il m’a proposé plein de pèze. Il voulait juste que je lui dresse une liste des gens de l’Isara qui avaient un prénom comme nom de famille.
- Pourquoi faire ?
- Bin au départ j’en savais rien, m’sieur. Juré ! Mais quand j’ai constaté qu’il y avait des morts à l’Isara, et qu’ils étaient sur la liste, j’ai flippé. M’sieur Durêve est revenu me voir, il m’a dit de ne pas m’inquiéter, il m’a refilé plus de flouze en disant que je ne risquais rien si je ne parlais pas. Et pis aujourd’hui, il m’a proposé encore plus pour piéger Eloi, m’sieur. Il voulait se servir de lui pour vous faire parler.
- Qu’est-ce qu’il voulait me faire dire ? j’interroge.
- Bin ! Le nom de celui qui a piqué la came ! M’sieur !
- Quelle came ?
- Bin j’sais pas… la came que m’sieur Leton avait caché à l’Isara et qui a disparu… ils savent juste que c’est une personne avec deux prénoms, et ils pensaient que vous aviez peut-être la réponse…

J’impose un silence. Je ne veux pas laisser ce tas de graisse penser que j’en sais moins que ce qu’il croit. Pourtant, c’est bel et bien (comme moi) le cas ! Durêve voulait m’attirer ici pour faire avancer un schmilblick qui m’échappe encore quelque peu. Mais le gusman Paul me remet un peu en selle sur le pourquoi du comment.

Je ne lui demande pas pourquoi Durêve suspecte les prénoms doubles. Je ne lui demande pas pourquoi avoir assassiné Gigonnade, Pointe et Belleride. Je sens clairement que je suis arrivé à la frontière de ce qu’il sait. Tu connais le tarif ? PAF ! La crosse dans la tronche, et hop un aller simple (qu’il se démerde pour le retour, je peux pas tout faire !) dans les bras de la belle Morphée est gracieusement offert à Uduku (j’espère qu’elle mettra ses gants, Morph', sinon bonjour les tâches de gras !).

Le gars Eloi a l’air moelleux. Je n’essaye pas de le sortir de sa torpeur : tant qu’il est docile, il ne risque rien. Or, le danger existe encore, puisque Durêve et ses trois couverts sont dans le coin, armés et potentiellement agressifs. J’inspecte plutôt les lieux. La liste de prénoms doubles, je la snobe : si Eloi et Uduku n’y voient rien de suspect, ce nez pas moi qui vais le faire, comme disait Cléopâtre.

Je m’intéresse en revanche à ce que lisait Joss Leton avant de faire la connaissance avec le manche de mon Python. Il s’agit d’un fax. Il a été plié, déplié, replié un grand nombre de fois, et j’imagine que Leton devait en être à sa millième lecture quand je suis arrivé (maman m’a pourtant dit au moins mille fois de ne pas exagérer). L’appareil émetteur devait être de piètre qualité : en trois endroits régulièrement répartis, le texte est rendu illisible par un trait d’encre horizontal barrant le papelard.

Je lis :
« Salut JL,
Comme je t’ai dit, j’ai pu accéder au logiciel de contrôle des badges de l’école. Ce qui craint, c’est que j’ai du forcer plusieurs portes : ça va forcément se voir tôt ou tard, j’espère que ce sera tard et qu’on ne pourra pas deviner que je suis dans ce coup. Les codes de sécu du logiciel vont être renforcés en tout cas.

Je pense que XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX (fax pourri).

Bref, j’ai regardé le relevé : entre le moment où j’ai contrôlé le stock pour la dernière fois et sa disparition le 22 février, une seule personne a fait 8 allées et retours dans la salle d’étude, soit à peu près la quantité de trajets nécessaires pour tout évacuer. Il s’agit de XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX (fax défectueux).

Je ne sais pas si la badgeuse donne d’abord le nom ou le prénom, je n’ai pas pensé à regarder sur le coup… mais j’imagine que tu trouveras facilement qui c’est en tentant les deux combinaisons. Comme prévu, je te laisse t'occuper des investigations. Je prends des congés avant qu’on on commence à se méfier de moi ici. Je reste bien sûr joignable, je serai dans le sud, chez
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX (fax de merde).
En espérant que tout s’arrange, signé WP »


Intéressant ! Je pige un peu mieux l’histoire, à présent. Toi pas ? Si ? Un récapitulatif ne te ferait pas de mal, peut-être. Alors sois attentif, je ne peux pas me permettre de tout répéter, mon éditeur me paye à la page, figure toi !

Alors voilà : Joss Leton et « WP » planquent à l’Isara, dans un faux plafond, une quantité importante de drogue. Pourquoi ici ? Monsieur et madame « Sais-encore-rien-mais-ça-ne-saurait-tarder » ont un fils : Jean. Un beau jour, la came disparait ! Grâce au système de badge qui régit l’Isara, « WP » arrive à dresser une liste des Isariens susceptible d’avoir piqué le magot. Malheureusement, le fax qu’il envoie à Leton est tout pourri : on n'y lit ni le nom du suspect numéro 1, ni le moyen de joindre WP, alors qu’il décide justement de décamper !

Leton est coincé : son seul indice, d’après le fax, est que le nom et le prénom du suspect numéro 1 sont interchangeables. C’est alors que Durêve entre en jeu. Est-il mouillé depuis le début, ou est-il appelé à ce moment là par Leton ? Qu'importe ! Il contacte un Isarien un peu manche, Paul Uduku, pour que celui-ci lui dresse une liste des prénoms doubles de son école. Si Durêve garde cette tanche de Paul sous le bras, c’est plus par pragmatisme que par gentillesse : il pressent qu’il pourrait avoir besoin de lui plus tard. Néanmoins, je suis à peu près sûr que l’espérance de vie d’Uduku est aussi courte dans les projets de Durêve que ton sexe dans ton slip.

Durêve commence donc à interroger les doubles prénoms, plus ou moins directement selon les cas de figure. Question centrale : « es-tu l’enfant de salaud qui a tchourré la came ? ». Les trois premiers interrogés répondent non (ou ne répondent pas, cf. N’a-qu’une-fesse). Pour rester discret, Durêve les fait descendre par trois abrutis différents afin de brouiller les pistes.

Mais un commissaire de police surdoué, aiguillé par un gone intuitif, flaire la mouscaille un peu plus vite que prévu : moi ! Ma légende me précède, et Durêve, en m’apercevant auprès du troisième cadavre, a une idée : me laisser, moi, le sublime et perspicace San-A, mettre mon nez dans le bousin pour trouver le voleur. Avec l’aide de Paul Uduku, il enlève Eloi pour avoir une monnaie d’échange contre mes infos.

Le hic pour ces messieurs les cocus de la came, c’est que je ne sais rien ! Durêve se met tous les doigts dans le prosibe s’il espère que je puisse tirer une conclusion potable.

Remarque, l’hypothèse que je n’entrave nib à ce micmac a effleuré son esprit, au Durêve : il a d’ores et déjà contacté trois mercenaires de plus pour foutre en l’air deux autos. A faire péter avec dedans, j’imagine, deux nouveaux suspects qu’il contactera si ce que je bavoche le déçoit.

Questions restantes : à quoi rime la parenthèse Reliure/Gigonnade ? Pourquoi Joss Leton, qui n’a apparemment aucun lien avec l’Isara, a-t-il eu l’idée saugrenue de stocker sa fortune ici ? Qui est ce WP, qui, lui, semble être lié à l’école ?

Durêve m’expliquera bien tout ça, non ? J’ai envie de lui faire une farce. Le fax stipule la date du vol : le 22 février. Or, j’ai dans la poche un tract de chez « Cerles & Fesses, assurances agricoles », sur lequel ce cher barbu a laissé son numéro de turlu, moins les quatre derniers chiffres, qui sont ceux de la date du vol, moins quatre jours… (quel bourbier ! il me faudrait un 4x4 !). Facétieux, je compose ce numéro en ajoutant 18 02 à la fin. La tête de Durêve, sur ses chiches, quand il saura qui l’appelle !

Ça sonne ! Et soudain retentit une petite musique derrière moi. Je reconnais « Sultans of Swing » de l’excellent groupe « Dire Straits ». Une version fadasse, pourtant, un peu électronique, type sonnerie de téléphon portable…

lundi 8 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 14

« Con, ce type, à Sion » est loin de valoir « Brillant, San-Antonio, à Lyon »

Dehors, c’est possible qu’il fasse nuit. Mais dans l’Austin Mini, pardon ! La chevelure du flamboyant rayonne comme un soleil de Juillet. J’ai emprunté la tire de Marie-Emeline pour que nous allions, le Rouque et moi-même, jusqu’à l’Isara. C’est de là que Mathias suivra les opérations.
- Mon turlu est en mode vibreur, Rouillé, n’hésite pas à me tuber si de l’extérieur tu perçois quelque danger. Je le place en outre dans la poche révolver de ma chemise. En cas de pépin, j’enclenche l’appel : tu pourras ainsi entendre tout ce qui se passe (et me dépasse) de mon côté : c’est une astuce sensass que j’ai pu tester tout à l’heure. Si ça sent le roussi à plein tube, t’es autorisé à rappliquer coudes au corps. Si c’est une mouscaille relative et peu pressante, appelle plutôt les roussins à la rescousse. Je sais bien que tu es plus à l’aise avec une burette qu’avec les malfrats.
- J’aurai sans doute mieux à vous proposer, patron, réplique l’Albinoche avec un sourire mystérieux.

T’as envie d’en savoir plus ? Moi aussi ! Mais je sens bien qu’il veut me réserver la surprise. Quel super outil, quelle trouvaille technologique, quel bricolage futuriste va-t-il me sortir, cette fois ? Je ne tente pas de pronostique : ce loustic scientifique a le chic pour dépasser mon imagination (ne parlons pas de la tienne !). Je pourrais lui poser des questions, essayer d’en savoir plus, mais je connais ce faciès énigmatique. Le flambant se ferait péter les deux genoux avant de lâcher le morcif. Pire, il sacrifierait ses quatre mômes préférés, je suis sûr[1] ! Alors que veux-tu ? Je vide les lieux pour aller en remplir d’autres.

Aux abords de l’Isara, je note la présence de la Twingo d’Eloi. Le gone est-il venu ici sous la contrainte, ou de son propre chef ? En tout cas, il est probablement déjà là, malgré mon avance, sans doute avec Joss Leton le chimiste, Paul Uduku l’étudiant ripoux, et Yvan Durêve le DRH de la pègre. Deux accès s’offrent à moi (pour ne pas être en reste, je me présente à eux, faut bien un peu de réciprocité !) : un portail pour les étudiants, qui donne sur la cour du bâtiment, et une entrée plus officielle, toute en portes vitrées, pour le personnel.

Je gage que le second accès cité favorise la discrétion… va pour les portes-vitrées ! De nos jours, tu sais, mon sésame a la vie dure (quand d’autre ont la biture). Les bonnes vieilles serrures sont en voie de disparition, ma bonne dame ! Au présent du dissuasif, on décline tout un merdier électronique, et le verrou relève de l’anti-intempestif passé. Pour entrer ici, même par effraction, il ne faut pas une clé mais un badge. Par chance, Mathias m’a refilé un passe partout moderne tout plein : une carte à puce qui fait sa fête à « la plupart des systèmes de sécurité de base », d’après le brasero.

Un test en atteste : grâce à la carte, je rentre dans l’Isara comme le gladiateur entre dans la reine (pardon je voulais dire l’arène) : sans difficulté, mais conscient que le plus dur est à venir (Note à Benêts : ça semble marcher aussi avec la reine…). D’emblée, je capte une odeur suspecte. C’est trop léger pour avoir le moindre effet sur moi, mais il n’y a pas de doute : c’est un gaz soporifique qu'on a balancé par ici. Mais toi, tu me connais ? Pas du genre à tourner bride au premier problo venu, pas plus que de tourner de l’œil à la première odeur sentie (sans tee non, d’ailleurs, à quoi servirait-ce, je vous prie ?). Je m’avance donc, prude amant (quelle blague !), dans le hall. Bonnart ! L’odeur est belle et bien en cours d’évaporation : ce n’est donc pas un piège destiné à ma modeste mais brillante personne.

Une légère vibration se fait soudain sentir dans le silence du hall : un des ascenseurs vient de se mettre en mouvement. Un rayon de lumière entre les portes m’indique qu’on s’arrête précisément au rez-de-chaussée. Dans cet espace entièrement vitré, qui donne (quelle générosité !) sur la rue très éclairée, tu parles si je suis visible ! Je bondis, non pas à Bondy, mais derrière le bureau d’accueil, derrière lequel un corps mou m’accueille à bras ouvert. Il s’agit du veilleur de nuit, aussi dynamique qu’Etienne Daho. Et pour cause ! Il a du respirer le gaz tsé-tsé à plein soufflet. Tapis à son côté, je mate la saynète que l’on joue devant moi.

Trois personnes cagoulées sortent de l’ascenseur, éclairées par la lumière d’icelui. On se croirait à table : le type de gauche, avec sa cagoule aplati, évoque une fourchette. Le gros du milieu a une silhouette si ronde qu’on jurerait voir une assiette. Le type à droite, lui, a une chouette cagoule type KKK (cas caca), bien pointu, qui rappelle un couteau. Tous trois s’installent dans les fauteuils meublant l’accueil.

Ils sont vite rejoints par un quatrième gus, qui lui arrive par l’escalier principal. Il s’agit d’Yvan Durêve.
- Z’êtes pas cons, non, de prendre l’ascenseur ? rouscaille-t-il à voix basse et avec son léger accent sudiste (que l'on remarque quand on l'écoute mais pas quand on le Lee). La lumière a du se voir de loin ! Pourquoi pas accrocher des lampions, tant qu’on y est ?
- C’est sa faute, chef, répond la Fourchette en désignant l’Assiette.
- Faut dire qu’après une journée passée dans un parking souterrain à scruter des peignes-cul en train de remiser leurs tires, j’ai les articulations trop rouillées pour prendre l’escalier, justifie l’Assiette.
- Vos gueules, interrompt Durêve. Vous avez repéré les voitures de nos clients ?
- Oui, répond le couteau. Les deux.
- Piégeables ? demande Durêve.
- Absolument, affirme le couteau. Avec nous, toutes les guindes sont bonnes à piéger, vous le savez bien.
- Bon. Avec un peu de chance, on aura pas besoin de les faire péter… murmure Durêve.
- Le poulaga a des infos ? demande la Fourchette.
- Je l’ignore, répond Durêve, apparemment tendu. Je l’ai appelé pour lui donner l’horaire du rendez-vous : 5 heures, comme on a dit. Mais il ne répond pas, je ne sais même pas s’il a eu mes messages… peut-être que c’est une ruse et qu’il viendra quand même. Peut-être que son téléphone est HS, et alors on l’a bien profond. Peut-être qu’il attend tout simplement l’ensemble des infos pour agir…
- Programme ? demande le couteau.
- Dans un peu moins d’une heure, je l’appelle pour lui donner le lieu de rendez-vous, on continue donc comme prévu, en espérant qu’il répondra, cette fois.
- On pourrait être utile, ou est-ce qu’on peut rentrer chez nous en attendons votre éventuel feu vert pour les deux autos ? demande l’Assiette.
- Allez chercher vos armes. Vous allez patrouiller un peu au rez-de-chaussée. S’il essaye de nous blouser, autant prendre des mesures de précaution. Prière de viser les jambes : ce type en sait peut-être plus que nous, et dans ce cas, je veux qu’il parle. Pigé ?
- Pigé, assure le couteau.
- Alors allez-y. En cas de pépin, vous me trouverez au troisième, dans le foyer des étudiants, avec Joss et les deux mômes.

Nos quatre voyous se séparent : Durêve retourne dans les étages, les trois autres vont chercher leur arsenal au sous-sol. Inutile de te dire qui je suis. Le premier qui répond « San-Antonio » est une grosse chèvre repoussant les limites inférieures du QI humain !

Durêve, contrairement à ce qu’il a affirmé aux autres, ne va pas au troisième étage. Il fait un arrêt dès le premier. Tu sais pour quoi faire ? Pour visiter les cagoinces. On me dit souvent que je ne fais pas dans le réaliste. « San-A ? Des fariboles ! » Faut-il être ignare pour affirmer de telles couenneries ! C’est un manque d’objectivité crasse. Car enfin, citez moi une fiction où le grand méchant prend le temps d’aller aux chiches en plein pendant l’action ? Chez Agatha Christie peut-être ? Chez Alexandre Dumas ? Chapitre 10 : où Porthos décide d’aller poser sa crotte pendant que d’Artagnan lâche une flatulence dans le cabinet de Tréville. Nenni ! Mais chez moi, c’est la vraie vie : les personnages sont faits de viande authentique, et ils en payent les conséquences.

Un concert de pets secs se fait entendre. Je te rassure : je ne tombe pas dans le scatophile gratuit. La constipation de Yvan Durêve (qui porte très mal son nom actuellement, Tafoison me semblant plus approprié) n’a pas vocation à aérer ma prose, si j’ose dire. Elle va même avoir son utilité : notre barbu semble être coincé ici pour un moment. Les couverts de service vont rester au rez-de-chaussée. Pourquoi est-ce que je n’irai pas un peu voler dans les plumes du foyer des étudiants ?

Discrètement, je m’esbigne, et je grimpe les deux étages restant quatre à quatre. Je repère directement le foyer : c’est la seule salle éclairée. Je m’approche à pas de loups et passe un œil dans l’espace vitrée de la lourde. Qu’y vois-je ? Qui vois-je ? Les rideaux du foyer ont été hermétiquement fermés pour que la lumière ne se voie pas de l’extérieur.

Joss Leton est plongée dans la lecture d’un document. Comme cette excitée de M. Aitrenfilée l’affirmait, il a un menton extra long, bien arrondi, les cheveux ras, et pout tout dire pas vraiment une dégaine de chimiste surdoué, mais plutôt celle d’un musicos, type guitariste. Uduku est un jeune porc, gras de partout. Ses cheveux sont passés dans une friteuse, son visage luit plus qu’une flaque d’huile. Eloi et lui sont également en train de potasser des papelards. Pourriture, ce gone ! Il travaille en bonne entente avec les vilains depuis le début, alors ? Pourtant, j’aurais mis mon slip au feu qu’il était réglo… Minute ! Etudions la scène d’un peu plus près, pour voir ?

Uduku demande :
- Peut-être Julie Olivier, la nana de première année ?
- Connais pas, répond Eloi d’une voix étonnamment monocorde. Peut-être.
- Michel Sylvain, le responsable de la filière alcoolisme ?
- Bof. Ce type plein de morgue, de fierté, avec son maxi-complexe de supériorité, aurait refilé la came à la flicaille. Trop content d’avoir son nom dans les journaux. Ce type nous rabat déjà bien assez les oreilles quand il apparait dans Vin Rouge Magazine…
- Jean-Marcel Luc, alors ? De l’administration ?
- Je ne pense pas non plus. C’est un gros tas de saindoux bien incapable d’un tel coup d’audace. S'il avait trouvé la drogue, il aurait tout laissé en place et n’aurait plus remis les pieds dans cette partie du bâtiment pendant cinq ans.
- T’as déjà couché avec Marielle, la pétasse la promotion 69 ?
- Deux fois, répond Eloi, la voix toujours aussi neutre d’un Helvète centriste.
- Trop marrant, cette potion, ricane Uduku.
- Ce n’est pas un jeu ! tempête Joss en levant la tête. Les effets sont limités dans le temps, il faut lui poser des questions pertinentes !
- Tu vois bien qu’on arrive à rien, réplique Uduku, boudeur. On voit pas qui, parmi ces 10 ploucs, aurait pu vous piquer la came, ni lui, ni moi. On perd notre temps ! En plus, vous les avez déjà quasiment tous cuisiné, non ?
- Mêle toi pas trop de ce qu'on a fait ou pas, conseille Joss. On veut ton avis sur toute la liste. Réfléchis un peu merde, creuse toi le ciboulot.

Et tout le monde repique silencieusement du nez dans les papelards…

T’as pigé ? Non, bien sûr, mais je suis là pour éclairer ta lanterne. Joss Leton, qui excelle dans la conception de drogue, a imposé à Eloi un coup de snif dans un de ses produits maison. Un produit qui le rend docile ! Voilà pourquoi il a suivi les autres avec le sourire tout à l’heure. Et voilà pourquoi il collabore avec ce trou de balle d’Uduku. Le gone est régulier, donc, et ça me rassérène à bloc ! Pour être exhaustif, je peux même t’affirmer que ça me donne la motivation nécessaire pour entrer en scène, mon superbe python serré entre mes salsifis tripoteurs.


[1] Il leur a laissé le nom de jeune fille de sa maman (Taliage). Pour bien faire, il leur a donné à tous le même prénom : Jean. Ça fait quatre Jean Taliages ! (on m'a forcé à faire cette blague)

mercredi 3 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 13

Chasse gardée vaut sans doute mieux que chiasse contenue

Tu veux connaître mes projets, René ? Tu vas sans doute être déçu, mais ils consistent, dans l’immédiat (et dans la cage d’escalier) à une action que même toi tu réussirais ! Je compte en effet éteindre mon téléphone portable.

Je veux que Durêve reste dans le flou, qu’il ne sache pas si j’ai eu son message. Cette cruche compte me rappeler, probablement pour me donner rendez-vous à 5 heures du matin : c’est ce que m’a dit Eloi. Pas besoin, donc, de rester à scruter mon téléphone tel un présidentiable un jour de scrutin. Je coupe tout, et je laisse Durêve se perdre en hypothèses quant à mon silence. Se présenter en position de force, jouer la surprise ! Voilà de bons conseils pour un poulardin junior.

J’ai un doute, cependant : quand il m’a tuyauté sur le rencard, le gone avait-il vraiment surpris une conversation, ou bien m’a-t-il roulé dans la farine ? La voisine du dessus est bien formelle (et bien formée) : Eloi avait l’air normal, et même en grande forme en quittant l’immeuble. Serait-il complice ? C’est un classique, ce plan foireux : un truand fait appel à un flic pour résoudre une affaire dans laquelle il trempe jusqu’au frontibus, et ce, pour n’éveiller aucun soupçon.

Dans ce cas, tout ce qu’il m’a bonni du départ serait truqué à souhait… Dis, franchement, tu te vois relire tout ce magnifique ouvrage en mettant toutes les phrases d’Eloi en négatif ? Moi, j’ai la flemme. Je pars donc du principe qu’il est franco (pas comme Deboeuf !) depuis le commencement, et baste !

Je décide donc de retourner à l’Isara cette nuit, bien armé et en avance. Seul, mais déterminé ! J’en averti toutefois le Flambé, qui m’accompagnera jusqu’à l’école. Si jamais ça tourne mal, il pourra s’organiser avec quelques volailles locales pour donner lasso (comme dirait un cow-boy de ma connaissance). Avec un peu de chance et mon talent, demain matin, tout sera réglé (comme ta petite amie, quel hasard ! à chaque fois que tu envisages une tagada-tagada party sous les draps).

Le rendez-vous que je fixe au Rouquin à trois plombes ne l’ennuie pas plus que ça. Il est do si la la (dirait mon pote le mélomane pétomane) perfection, cet homme là. Il va ronquer quelque peu avant ça. Moi, je ne suis pas tellement fatigué. Je jette un œil à ma tocante : n’ayant pas d’orbite où l’y foutre, elle me le rend, avec en sus une info supplémentaire : il est quasiment minuit. Tu t’en tapes, n’étant pas le docteur Schweitzer ! Reste malgré tout à trouver une occupation avant d’aller faire du Rebecca nocturne dans l’école de ce cher Jean Roquet.

Le monde est un livre[1], chaque endroit est une page. Moi, présentement, j’aimerais feuilleter un peu Lyon, qu’en penses-tu ? Qu’en panse-tu, devrais-je dire : on a toujours rien avalé, si je ne m’abuse. Allez, je vais essayer de trouver un endroit où bâfrer, et, je ne suis pas rapiat, je t’invite ! A condition que tu te tiennes bien et que tu payes ta part, œuf corse.

Je sors tout juste de l’immeuble de Paul Uduku. Comme quoi, je suis susceptible de te balader dans les grandes largeurs : un coup, je te trimbale sur 200km en trois lignes, un coup je t’occupe plusieurs pages simplement pour descendre un escalier...

Si je m’attendais ! La Mini de Marie-Emeline est toujours là, garée en double-file, les warninges allumés. : c’est donc elle qui m’attendait (et pas moi, comme le suggérait le début de ce paragraphe). Deux policiers moustachus en uniforme sont postés devant la vitre du conducteur, et ils ont l’air de trouver ce qu’ils voient très amusant. J’approche[2].

C’est rigolo, ça : la gamine s’est endormie sur place, à poil sur son siège en cuir ! Evidemment, avant de larguer leur prune, les deux matuches se rincent l’œil à qui mieux-mieux (ils font bien de le rincer, on y lit quelque chose de salace).
- Dégagez, les mecs, je leur enjoins. Cette nana, c’est chasse gardée : vous pouvez vos châsses garder pour les immondices qui vous attendent chez vous en regardant la téloche.

Ma brème de commissaire calme toutes leurs velléités de contestation (con t’es station illicite, dans ce cas précis). Je rentre dans la guinde. « Clac », fait la porte en se refermant, et « mmmh » fait la môme en quittant les bras de Morphée. Bras qu’elle quitte visiblement sans regret (il faut dire que les miens sont bien plus cotés auprès des gerces).

- Tout roule, mon bijou ? je susurre.
- J’ai un peu froid ! Il faudrait voir à me réchauffer un peu, commissaire.

Elle doit jouer souvent au billard avec un maladroit, celle-là, pour attaquer bille en tête de cette manière ! Je passe ma main (mais ne passe pas la main !) sur un endroit doublement rebondi de son anatomie : c’est doux, mais frais, effectivement !
- Et si, avant toute chose, nous allions manger un petit quelque chose, jeune beauté ? Ce serait l’occasion pour toi de te rhabiller un peu, et ensuite, nous verrions comment occuper la suite de la nuit, mmh ?
- Mettre les fringues pour les enlever après, c’est comme faire son lit pour le défaire ! ronchonne Marie-Emeline en enfilant son string que j’avais d’abord pris pour un bout de ficelle minus et perdu.
- Dans ce cas, autant ne pas naître, cher ange ! philosophé-je. Connais-tu un petit resto où l’on mange grassouillet ? J’ai une deuxième partie de nuit qui s’annonce coûteuse en énergie.
- Me dites pas que vous planifiez déjà de me faire une infidélité ! Notre histoire commence à peine.
- Allons, Marie-Aline, allons, il s’agit juste d’action violente ! Rien de sexuel là-dedans. Sinon, promis, tu serais la première prévenue.
- Je préfère ça ! Et je m’appelle Marie-Emeline, précise la môme en décarrant.
- Marie-Emeline, Marie-Aline… évasé-je. C’est tellement moche, tout ça. Mais ne nous dispersons pas : à table !
- J’y pense : ma colocataire adore cuisiner. Nous n’avons qu’à aller chez moi ? Elle est très sympa, en plus.
- Haro sur ta coloc, alors !

La colocataire en question (mais surtout en nuisette coquine) est Sénégalaise, elle s’appelle Rama M’Bokou-Leku. Après avoir rapidement avalé deux-trois spécialités de chez elle, nous avons entamé, à trois (mais pas jusqu’à l’aube... si nous avions été à Troyes, ça aurait été jusqu'à l'Aube !), un grand menu plus international. Rama est tout aussi excitée que Marie-Emeline, et pas plus moche. Un poil plus épaisse, peut-être, mais ça paye au niveau des loches et des miches !

Je leur ai fait (de l’effet, certes, mais pas que(ue)) : la nique avec manique, la louche un peu louche, le tablier pervers, on passe à la casserole, la corbeille à fruits de la passion, le noir comme dans un four (par derrière, juste à Rama qui s’y prête mieux), la hotte déhotte, la vaisselle salace, le frigo tout de go, le vit-fouet bien fait, le saladier baladeur, la plaque chauffante bandante (assez difficile à faire à trois), la plaque chauffante s’enflamme (avec la rouquine uniquement, plus adaptée), on passe à table, fous-moi ta baguette dans la huche, l’andouillette pas nette, la toque au taquet, la cocotte pin-up et pour finir, on remet le couvert. Finalement, ce bouquin aura eu l’avantage de dépoussiérer mes polissonneries à thèmes ! Après la salle d’eau, je revisite mon chapitre cuisine !

Autant te dire que quand je rejoins Mathias à son hôtel, je suis en pleine forme !

[1] Danke Schön Nancy Hübner pour cette image tellement poétique, et littéraire par-dessus le marché !
[2] J’ai failli mettre « je m’approche », mais je trouve ça con comme formule : comment pourrait-on approcher soi-même ? Comme si on n’était déjà pas assez près de notre personne ! Sana.

lundi 1 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 12

Ne pas confondre « un sursis offert » et « des sourcils fournis ».

Les poils de froufrou terminent de crisser sous mon action experte quand les boudins de l’Austin Mini s’y mettent. Les cris de Marie-Emeline et des freins sont, eux, bien simultanés. Du beau boulot ! Encore fébrile, la gamine me montre du doigt une porte d’immeuble toute proche, et également tout porche, puisqu’elle se trouve sous un.

Te dire que je bondis hors de la guinde ressemble autant à un euphémisme que Lionel Jospin ressemble à un coton-tige : malgré les cinq bons mètres qui séparent la porte de l’auto, je ne touche pas le sol sur cette distance. Ce saut majestueux me permet de profiter de l’ouverture de la porte, et donc d’éviter, comme Eloi avant moi, de passer par la case interphone. Je suis d’autant plus content que la nénette qui m’a évité cette peine vaut précisément la peine d’être vue, embobinée, emballée, culbutée, j’en passe et des plus sales.

Tu sais, je viens de faire grimper une mousmée au plafonnier de sa taumobile sans y pendre personnellement trop de plaisir, vues les circonstances. J’ai bien envie, à mon tour, non pas de prendre ma Panhard (puisque que j’ai une Maserati), mais bien mon panard. Et cette grande blonde aux jambes démesurées, laissées visibles par une jupette modeste (et le qualificatif lui-même est modeste ! je me demande bien ce que portent les nanas de Lyon en été, vues leurs nippes en hiver), cette gerce, donc, colle parfaitement à ce type de projet conclu par une projection. Oh, ce bassin… et cette taille ! Je te passe les détails, mais je sens qu’elle a été façonnée tout pile pour moi… Et puis, je suis en train de grimper derrière elle (en attendant de grimper sur elle) l’escalier de l’immeuble, ce qui me permet de constater qu’elle ne porte pas d’ignobles collants une pièce, mais bien une paire de bas, tellement plus classe, tellement ergonomiques au moment du désapage…

Mais je ne peux malheureusement pas plus me désaper que me disperser. J’ai lu sur les boîtes aux lettres que « P. Uduku » habitait au troisième. Je dois avant tout aller y faire du grabuge : il y a là au moins un des vilains de mon gang insaisissable, je ne dois pas rater l’occasion de le chopper par le colback. En débarquant maintenant, la main tenant fermement mon arme, je surprends le type et je lui fais sa fête !

Je m’arrête donc au troisième, laissant à contrecœur (mais surtout à contrebite) la jolie blonde monter un peu plus haut dans les étages. Quand elle se retourne brièvement, je lis dans son regard qu’elle regrette que je ne continue pas l’escalade avec elle jusqu’aux alentours du septième sol.

Ce jeune con, Eloi, me prive de bien des rigolades ! M’enfin. Porte de droite : « P.Uduku ». Mon doigt le plus cuisinier interroge : toque, toque, toque ? Pas plus de raie ponce que de raie Manta. Pas de bruit du tout, en fait (donc pas "en fête"). Je m’étonne : en arrivant ici tout à l’heure, Eloi a entendu son copain parler au téléphone recta ! Et là, podzib ? S’il y a deux personnes là-dedans, je devrai pourtant au moins entendre remuer un peu, non ? Or, je me rends compte à cet instant que le silence doit avoir été lavé par Omo car il est plus blanc que blanc.

Un autre truc devrait faire du bruit, en plus. Tiens écoute : on n’entend plus les pas du canon aux jambes longues, pas plus que je n’ai ouï (ni joui… rha, j’enrage !) le bruit d’un trousseau de clés qu’on sort d’une poche, ni celui d’une serrure malmenée, ni rien.

A ma place, que ferais-tu ? Tu lèverais la tête, pas vrai ? Et bien moi, en tout cas, je le fais. Et j’aperçois ma splendide blondeur, immobile sur le palier supérieur, qui me regarde comme une boulimique zieute une pièce (bien) montée.
- Le jeune garçon qui habite ici est parti il y a quelques minutes, Monsieur, engagelaconversation-t-elle.
- Flûte ! rouspété-je. Et savez-vous s’il était accompagné d’un autre jeune garçon ? Châtain, le mètre 85, bien bâti ? C’est lui que je cherche.
- Il était précisément avec lui, je les ai croisés dans la rue avec un troisième monsieur, il y a deux minutes à peine.
- Ah, bien, bon. Dites-moi, chère madame : avait-il l’air bien en forme ? Je suis son médecin traitant, et je sais que ce jeune homme est le sujet d’évanouissement, ces temps-ci, je m’inquiète pour lui.
- Soyez rassuré, alors : il avait l’air en grande forme.

Ah bon ? En grande forme ! Bizarre, non ? Moi qui le croyais chloroformé… y a un truc tellement louche là-dessous que je pourrais servir une soupe à tous mes lecteur avec ! Le gone aurait-il fomenté une mise en scène avec Uduku et Joss pour me laisser croire qu’il était en danger ? Allons ! Allons ! Je m’égare… à moins que. Combien de fois je me suis trompé sur un de mes alliés ? On ira voir aux archives ! Une chose est sûre : j’ai déjà fréquenté un grand nombre de méchants que j’ai d’abord pris pour des gentils. Alors un prépus, un peu moins…

Pour en savoir davantage, je ne vois qu’une solution, et qu’une chaglatte : celle de la voisine du dessus qui ne porte pas de dessous.
- Dites, madame, puis-je me permettre de vous poser une ou deux questions de plus ?
- D’accord, gazouille la poupée, à condition que je puisse me faire mettre, pardon me permettre de vous inviter à me les poser chez moi ? Nous serons mieux que dans cette cage d’escalier glaciale.

Aussi taudis (l’immeuble est pourtant respectable), aussitôt fait ! Je crois bien que la miss a repéré M. Chibron, qui du fond de mon slip joue à l’incroyable Hulk, la couleur en moins.

L’appartement de « M. Aitrenfilée » (comme me l’indique sa porte) je n'en garderai pas des masses de souvenirs, pour être honnête : à peine entré, ma vue est immédiatement bouchée par une formidable paire de loches ! Je plonge dedans. Que c’est confortable… Quand je relève enfin le ciboulot, je remarque que toutes les fringues ont disparu : Majax n’a qu’à aller se rhabiller !

Autre constat, nous sommes dans une pièce d’eau. Elle est comme ça, M. Aitrenfilée : je suis sûr qu’il y a dans son appartement un lit, un canap, un tapis, un pouf (il y a une pouffe en tout cas), que ne sais-je ? Mais son trip, c’est le carrelage et la céramique. Pourquoi pas ?

Ça me donne l’occasion de piocher dans mon répertoire « salle de bain », pas plus mauvais qu’un autre, bien que moins souvent usité. Je lui fais donc, l’une après l’autre, mais aussi, l’une dans l’autre, dans l’ordre, le désordre, le contrordre, toutes mes positions sanitaires : le robinet droit, le robinet courbe, le robinet fureteur, le rideau de douche-surprise, le pommeau baladeur, la bonde est pleine, le siphon s’y fond, le bidet bandant, la baignoire noire (par derrière), le shampoing-plein-la-moule, la brosse à dent t’y frise, le porte-serviette-levrette, le verre-à-dans l’oigne, le peignoir peinard, le tapis de bain lubrique, le gant de toilette stupréfiant.

Ceci fait, nous nous installons dans la baignoire, où M. Aitrenfilée (je ne lui demande pas son prénom : sur ce que je sais d’elle, cette dénomination lui con-vient tout à fait) fait couler un bain. Installée derrière moi, elle m’enlace doucement en me tripotant la zifolette pour la détendre, ce qui aurait paradoxalement plutôt l’effet inverse.

- Tu es vraiment médecin ? qu’elle demande.
- Faux ! Je suis flic. Je te montrerai bien ma carte, mais j’ignore où mon grimpant a bien pu disparaître.
- Qu’est-ce que tu lui veux, au petit Paul ?
- Lui, je m’en tape. Mais j’aurais deux ou trois questions à poser à une de ses relations.
- Le jeunot dont tu m’as parlé ?
- Non, l’autre qui l’accompagnait tout à l’heure. Tu pourrais me le décrire ?
- Il a un menton extra-long… plutôt jeune, sinon, pas grand-chose de particulier. Il passe souvent voir Paul ces temps-ci. Il l’appelle Joss, je crois.
- Et le jeunot, tu le croise souvent ?
- Jamais vu.
- Et tu es sûre qu’il avait l’air en forme en partant ?

Je ne sais pas de quoi elle est sûre, mais elle est sur moi, en tout cas ! En deux mouvements souples, elle m’a contournée, et elle veut remettre le couvert, dirait-on. Mais j’ai besoin de réponses.
- Réponds, ma douce : le copain de Paul, il avait l’air de marcher sous la contrainte ? C’était un sourire forcé ?
- Non, non, il avait l’air normal. Il gloubloubloub…

La fin de la phrase est sous-marine, car Miss Salle-de-Bain tente une expédition : vit mille lieues sous les mers. Bon… si elle y tient, je veux bien faire le capitaine Nœud-Mo.

Quand je quitte l’appartement de M. Aitrenfilée, je note qu’il y a de la matière sur mon raie-pondeur de messages téléphonique. Quand un footballeur est acheté à un prix indécent, des millions d’euros, il dit : « je les vaux ». Quand j’ai un message vocal, moi je dis : « je les coûte ».

Au moment où j’enclenche le premier message, mon téléphone devient tellement rouge que je devine tout de suite qui en est l’auteur.
« Allo patron, ici Mathias ! Renseignements pris, il semble que le chimiste le plus susceptible d’avoir détourné les travaux du professeur Jumel à des fins malhonnêtes soit un certain Joss Leton. Un étudiant doué mais pas très stable, à l’époque. Je lis dans un doc le concernant qu’il est suivi de loin par la brigade des stups. On m’a dit qu’il était doué plus généralement pour les drogues au sens large : genre GHB (drogue du violeur) et dérivés de ce type. Il semble qu’il soit domicilié à Lyon. N’hésitez pas à me rappeler. »

Joss ? Vous avez dit Joss ? Comme c’est intéressant ! Autre message ? Oui ? C’est parti :
« Commissaire San-Antonio, je souhaiterais vous voir très bientôt. Vous avez mené une enquête dont les conclusions, même provisoires, m’intéressent. Je vous les échange contre la vie de votre jeune ami. Vous recevrez un nouveau message pour fixer un point de rendez-vous. Je vous suggère simplement de ne pas prévoir de vous coucher trop tôt ce soir. »

Numéro caché. La voix m’est inconnue, mais cependant familière... c’est curieux. Jamais entendue auparavant, ça c’est sûr, pour autant j’arrive à mettre une tronche dessus. Timbre grave, accent du sud un peu sauvage, type bucheron... Oui, si j’avais déjà eu l’occasion de discuter avec lui, je suis sûr qu’Yvan Durêve aurait eu cette voix.