lundi 7 septembre 2009

Les soldes du foot, vol. II

Fin des textes écrits il y a longtemps mais pas mis en lignes pour diverses raisons. Et là : une trilogie sur le foot (je sais bien que ça n'intéresse pas grand monde), et sur le sport et la technologie.

Corner. La frappe de la tête du grand libéro adverse cogne violemment la barre avant de rebondir au sol. Un léger flottement suit : le ballon a-t-il heurté le gazon devant ou derrière le ligne de but ? Un des attaquants adverses ne se pose pas la question et accourt. Comme la balle reste dangereusement proche de mon but et que aucun de mes coéquipiers ne semble décidé à intervenir, je plonge. D'un coup de poing, j'expédie le ballon loin, très loin là-bas, vers la touche. Même à travers le gant, le choc est rude pour les phalanges, mais au moins, le danger est écarté. Plus que cinq minutes à tenir...

Nous avons tenu bon. À la fin du match, certains de nos adversaires se dirigent vers l'arbitre pour lui parler du ballon litigieux, sur le corner. Ce sont toujours les plus anciens joueurs qui font ça. Pour eux, c'est un réflexe : à notre niveau amateur, les nouvelles règles de validation des résultats sont relativement récentes. L'arbitre se contente d'un sourire, et il montre du doigts deux de ses quatre assistants, ceux qui récupèrent les caméras positionnées de chaque côté du terrain. "La réponse après la relecture, messieurs", lance-t-il.

En tant que capitaine, je suis tenu de rester après la douche pour attendre le résultat de la relecture. Mon frère Aramis et mon ami Athos doivent patienter également : aujourd'hui c'est avec ma voiture que nous sommes venus au stade. Au niveau amateur, les ordinateurs ont besoin de moins de temps pour ré-arbitrer un match : il n'y a que les bandes de deux caméras à visionner. Forcément, les résultats sont moins précis que pour les pros, mais c'est déjà bien de pouvoir bénéficier de cet outil là.

- Vous avez vu à la fin du match ? demande Athos. Il y en a encore pour allez parler à l'arbitre des ballons douteux...
- Quand j'ai commencé le foot, raconte mon grand frère, les arbitres étaient sans cesse emmerdés. Il n'y avait pas encore le post-arbitrage en foot loisir, et forcément, chacun tentait de l'influencer, et chaque décision était motif de colère de la part des uns ou des autres.
- Aramis a même connu le temps ou la CAVI n'existait pas pour les pros, précisé-je pour Athos.
- Oh, je n'ai que sept ans de plus que vous deux, ajoute Aramis avec un petit rire. Je n'ai pas connu les poteaux carrés ! J'ai à peine quelques souvenirs de l'époque précédent le CAVI.
- C'était comment ? demande Athos, intrigué.
- Ben... je m'en rappelle pas trop, comme je disais. Mais j'ai été marqué par une demi-finale de coupe du monde, en Angleterre. C'était nul. Les joueurs simulaient sans cesse... de vrais comédiens ! C'était scandaleux : le fait que des millions de téléspéctateurs les voient tricher ne les empêchaient pas de faire n'importe quoi, du moment que les arbitres n'y voyaient rien. C'était un des derniers matches à arbitrage uniquement en direct, si j'ai bon souvenir. C'est normal que la FIFA ait décidé d'arrêter d'empiler les arbitres sur et à côté du terrain, ça ne suffisait plus...

J'écoute mon frère et j'essaye de visualiser... Un jour, mon petit cousin m'a demandé comment les gens faisaient pour se réveiller avant l'invention du réveil. Il n'arrivait pas à imaginer le monde fonctionner sans ce détail. Même en me triturant les ménages, je me trouve en ce moment dans le même cas : comment imaginer des matches corrompus par la triche ? Comment imaginer les arbitres, perpétuellement influencés et sous pression, prendre les décisions seuls et en un instant ?

L'arbitre de notre match sort enfin de la salle informatique du stade, mettant fin à notre discussion.
- Trois buts à deux pour les visiteurs, dit-il en me tendant la feuille de match. Désolé... c'était un beau match.

Je parcours la feuille du regard, la mort dans l'âme. Notre victoire 2-1 était bien trop juste pour être validée telle quelle. En un coup d'oeil, je constate que la tête du libéro adverse est bel est bien rentrée dans le but... En revanche, dans la case "sanctions administratives", je suis surpris :
- Porthos a pris un carton rouge ! m'exclamé-je. "Anti-jeu et provocations multiples, deux cartons jaunes".
- Ah, c'est un peu étonnant, dit Athos, visblement moins surpris que moi malgré tout. Depuis ta surface, tu ne peux pas tout voir, mais c'est vrai qu'il a un peu abusé sur certaines actions. Enfin, j'aurais jamais cru que ça irait jusqu'au rouge.
- Et nous perdons notre meilleur buteur pour le prochain match, pesté-je.
- Par contre, le carton de Bonacieux pour protestation a été annulé, remarque Aramis en lisant la feuille de match par dessus mon épaule. Ça, c'est bien. Il aurait été suspendu...

Je signe la feuille et m'éloigne du stade avec Aramis et Athos. Arrivé dans la voiture, je suis encore un peu blasé. L'arbitrage a posteriori ne réserve à notre niveau aucune grosse surprise, mais Athos a raison : en tant que gardien de but, je ne peux pas voir tout ce que les caméras surprennent. D'où ma stupeur et ma déception. La suspension de Porthos tombe mal. Dans le jeu, il marque peu, Porthos, mais il se démène et se procure pas mal d'occasions, ce qui lui a déjà valu six buts cette saison après le second arbitrage, contre seulement deux sur le terrain.

Sur le trajet, Athos feuillète l'Équipe.
- Qu'ont dit les ordinateurs de la ligue pour le derby ? demandé-je en espérant fort et contre toute logique que mon pronostique, deux partout, se trouve confirmé.
- Hein ? s'exclame-t-il avant de répondre. Deux buts à un pour le FC Licebroque ! Incroyable ! Comment est- ce qu'ils ont pu...

Dans le rétroviseur, je le regarde chercher fébrilement le résumé du rapport de la ligue en tournant les pages du quotidien, amusé par sa stupeur. Cela dit, j'ai moi-même du mal à croire en ce résultat. Moi qui pensais être excessivement optimiste en espérant un match nul ! Il est vrai que les résultats, ces temps, sont de plus en plus surprenants. La LFP teste des logiciels de plus en plus perfectionnés, qui vont plus loin dans l'analyse des matches.

- Ah, voilà ! murmure Athos. "Les ordinateurs ont jugé (avec une probabilité de 91%) que le latéral droit de SC Locdu, Dorian, sorti sur blessure à la 42ème, aurait du rester sur le terrain une quinzaine de minutes de plus , la béquille qu'il a reçu étant moins grave que ce qu'estimaient les soigneurs de son staff. Son remplaçant, le brésilien Fusião, ayant joué un rôle-clé sur les deux derniers buts tout en étant nettement plus solide que lui défensivement (voir statistiques ci-contre), les ordinateurs ont estimé à 78% les chances de voir un scenario en faveur de FC Licebroque s'il était resté sur le terrain."
- Ah, le FC Licebroque est finlementsupérieur SC Locdu ! fanfaronne Aramis, qui comme moi -et comme toute notre famille-, supporte ce club.
- C'est du vice ! s'exclame Athos. Le SC Locdu est puni pour une fausse blessure... Mais remarque, ça ne m'étonne pas. Depuis le temps que je dis que Fusião a l'étoffe d'un titulaire... pas comme ce Dorian. Si le coach avait plus de jugeotte, aussi !
- Rattrapage au match retour, Athos ! lancé-je à mon tour, provocateur.
- C'est ça, bougonne Athos. Mais... oh, attends ! Ce sera sans Dragomir ! triomphe-t-il soudain.

Je freine brutalement. Dragomir, le gardien de but yougoslave du FC Licebroque, est le meilleur goal du championnat de France depuis trois ans, et c'est aussi véritablement mon modèle. Je regarde Athos, ébahi.
- Le match retour est dans plusieurs mois ! Comment Dragomir pourrait-il être absent aussi longtemps ?
- "Les ordinateurs ont jugé la sortie de Dragomir, à la 80ème, très dangereuse pour lui même. La probabilité pour qu'une telle sortie engendre une blessure lourde de type fracture est de 87%. Le gardien de but aurait donc plus logiquement du subir un arrêt de plusieurs mois, que la ligue officialise sous la forme d'une suspension. Par conséquent, l'équipe du FC Licebroque devra se trouver un nouveau gardien pour la fin de la saison", lit Athos, à son tour amusé.
- Catastrophe ! murmuré-je.
- Ce coup dur ! s'exclame Aramis alors que je redémarre.
- Allez, les gars, tente Athos pour nous consoler. Vaut quand même mieux ça qu'une vraie blessure, pas vraie ?

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