lundi 4 janvier 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 1

Ne pas confondre "Rouquine fonctionne" et "Pneu crevé"

Ah ! Parce que vous, bande de baudets bandits et bandants, vous croyiez peut-être que vous saviez tout sur tout ? Vous pensiez, sous prétexte que je vous en bonnis l’essentiel dans des ouvrages de haute tenue, que rien, dans ma vie, ne vous avait échappé ? Je ne sais pas depuis combien de temps vous n’avez pas eu tort, mais vous pouvez arrêter le chronomètre tout de suite.

Figurez-vous, horde d’ânes honnis mais honnêtes, qu’un poste aussi haut perché que le mien dans la maison pébroque implique un certain nombre de taches obscures et rébarbatives. Je ne vous les retranscris pas : d’une part, vous comprendriez ballepeau, manches comme je vous sais. D’autre part : ça m’use déjà suffisamment le slip de m’atteler à toutes ces réunions, ces colloques, ces meetings, ces rencontres au sommet, ces rencontres aux sots-mets, ces rencontres de sommités, de haut placés, de pètent-plus-haut-que-l’Everest, etc. bref ! Si je devais en plus vous les raconter, ce serait la goutte d’eau qui ferait déborder le vase de ma démission littéraire. Et vous seriez bien avancés !

Il se cherche (mais, vous le savez, je trouve toujours ce que je cherche !), il se trouve, donc, que j’ai assisté, il y a quelques années, à une table ronde à Interpol. Avec qui ? A propos de quoi ? Ma mémoire est comme une soustraction simple, elle ne retient rien ! En tout cas pas dans ces cas là. Comme toutes les fois où je me retrouve dans une salle de réunion, je n’avais pas la tête à ce qui se passait.

Je suis comme ça (en plus d'être comme ode et comme issaire) ! Place moi à l’autre bout du monde, avec une bombe dans le falzar et une armée aux trousses, je suis cap de jeuner 10 jours, de veiller le double, je suis même susceptible, en cas d’extrême nécessité, de supporter l’abstinence sexuelle pendant quelques temps. Mais dans un fauteuil molletonné, avec un tas de gradubides autour de moi discutant de je ne sais quelle question, réglementation, convention, argumentation, équation et autre trou-du-fion, là c’est une autre ritournelle! Le sommeil me gagne aussi facilement que Napoléon aurait gagné Waterloo si par bonheur ce flemmard de Grouchy avait avalé une dose de Guronzan le jour-dit. Et quand je ne sombre pas dans un sommeil d’ennui, je compense en ayant la dent : je pense aux choux de Bruxelles (oignons et lardons) de ma chère Félicie de mère. Ou sinon, j’ai soif. Ou alors un tricotin mignon me gagne en pensant à l’hôtesse qui m’a delesté de veste (ou dévesté de leste ?) en entrant dans cet endroit…

Bref !

Cette réunion à Interpol, comme beaucoup d’autres, je l’ai évacuée avant la fin. Quitte à être inutile, autant l’être ailleurs que devant un pover-pointe soporifique autant qu’horrifique, nous sommes d’accord ? J’ai donc quitté les locaux de la police internationale pour flâner un peu. Lyon (Interpol est à Lyon, vous le saviez, bien sûr ?) est une ville sympa. Je m’y suis baladé un moment au hasard, le temps d’évacuer cette fatigue de synthèse que seules les réunions raie-barbe-hâtives savent générer. Mes pas me guidèrent jusqu’au quartier de Gerland.

Une fois un peu mieux réveillé, je décidai de m’attaquer au reste du chantier. La becquetance ? Il existe d’excellents gastos à Lyon, mais je n’étais pas dans le bon coin. Boire un coup et attraper une mousmée, en revanche, c’est envisageable à peu près partout dans une métropole digne de ce nom (quoi qu’en dise le maire de Villefranche-sur-Saône, dans la ville duquel débusquer ces denrées s’avère ardu). Je repérai un établissement susceptible de servir une bière acceptable.

Le nom de la bâtisse ? « Ninkasi Kao » ! Original anagramme de « sino in kaka ». Si mes notions en rital sont bonnes, ça signifie en gros « jusqu’au caca » : voilà un augure intéressant ! J’entrai. Le temps de me commander une pinte de rouquine, j’en repérai une autre, très jeune, très bien finie, et très seule à sa table, devant un verre désespérément vide. Vous me connaissez ?

- Hello, charmante demoiselle, puis-je permettre de m’avouer quelque chose ? attaquebilleentêtai-je.
- Vous voulez dire : m’avouer quelque chose à moi ? demanda-t-elle avec un sourire surpris (un peu) et salace (beaucoup).
- Non, non : je m’avoue quelque chose à moi-même, belle enfant : je m’avoue vaincu ! Vaincu par votre charme, votre jeunesse, votre douceur que je ne peux pour le moment qu’imaginer.
- Hé bien ! souffla-t-elle, la nuance de salacerie éradiquant doucettement toute trace de surprise sur son minois mignon, mi-mutin, mi-amusé.
- M’en voudriez-vous si je m’asseyais à votre côté ?
- Ma foi ! répondit-elle, ce qui vaut bien d'autres manière d'acquiescer.
- Merci. Et maintenant, que diriez-vous d’une devinette ?
- J’écoute.

Ses phrases bisyllabiques, à cette rouquine toute jolie, me laissaient entrevoir la meilleure des issues pour cette converse, aussi nettement que son décolleté me laissaient voir une poitrine de gabarit restreint, mais ferme à souhait.
- Connaissez-vous l’origine du mot « copain », jeune inconnue ?
- Du tout ! Mais appelez-moi donc Marie-Emeline…

Comme quoi ! Celui qui dit qu'on ne choisit ni ses parents, ni sa famille, aurait pu ajouter qu'on ne choisit pas non plus son prénom.
- Figurez-vous qu’au Moyen-âge, ô ravissante Marie-Emeline, les plus modestes n’avaient pas d’assiette pour profiter des banquets ? Ils mangeaient donc directement sur de grandes tranches de pains qu’ils partageaient avec le voisin de tablée. Ils étaient « co-pain ».
- Fantastique, susurra la jeunette. Et je suppose que vous souhaiteriez que je devienne votre « co-pine » ?
- Dans le mille ! admis-je, impressionné par sa sagacité et rassuré par son côté cochon. Que dites-vous de cette proposition ?
- Pourquoi pas ? minauda-t-elle. J’attendais quelqu’un qui n’est pas venu.
- Oubliez cette personne ! implorai-je.
- Une consommation supplémentaire m’y aidera sans aucun doute.
- Je m’en occupe tout de suite, beauté !
- Vous avez l’air bien pressé…
- Ah ça ! Figurez-vous qu’un TGV doit m’emmener loin de cette belle ville de Lyon à 19 heures précise, départ gare de Lyon Part-Dieu. Vus les projets que j’ai pour nous, mieux vaut ne pas trainer, cher ange ! Que prenez-vous ?
- La même chose que vous ! gloussa-t-elle.

Pas farouche, la môme, non ? Et moi, tu parles si j’étais sûr de mon coup ! Vite fait, mais bien fait, pas vrai ? Hélas ! Comme dit le proverbe : « On ne vend pas la peau de la douce avant de l’avoir tringlée ! » Alors que je faisais mon retour triomphant à la table de la drague, je constatai que celle-ci était entourée de chaises proprement vides ! Un qui a déchanté, sur le coup, là-bas en bas dans mon futal, c’est l’ami Popol !

Cette rouquemoute cochonne, une timorée ? Dur à croire ! La morue semblait pourtant à point. Un coup de périscope au dehors m’en apprit davantage : un jeune gonze était en train d’ouvrir la portière d’une twingo à ma rouquine, avant de s’installer lui-même au volant. J’ai compris tout de suite qu’il s’agissait du retardataire : même si cette crêpe de Marie-Emeline était facile à retourner, j’avais été absent bien trop peu de temps pour qu’un tiers me coiffe au poteau. Le type avait donc de l’avance sur moi, CQFD (c'est cul et fignedé, dirait Béru).

La gamine s'installait à la place du mort, qui pour le coup était la place du mord ! Le temps que le jeune type attache sa ceinture de sécurité, elle lui avait enlevé celle de son bénard. Au moment d’enclencher le contact, la rouquemoute, qui avait disparu sous le tableau de bord, en créait un autre (de contact) entre ses lèvres et le scoubidou du conducteur. A ce rythme là, le passage de la cinquième vitesse allait correspondre avec l’accès au septième ciel !

Soyons clairs, au lieu d’avoir l’air sombre : cet incident ne m’a pas empêché de passer le reste de l’après-midi dans la chambre d’une autre grognasse à éprouver la robustesse des ressorts de son plumard. Il ne manquerait plus que ça ! N’empêche qu’au moment de grimper dans le tégévé, la rouquine et son copain-co-pine n’étaient pas totalement évacués de mon esprit. Cet épisode pénible me trottinait encore dans le ciboulot, si bien que, déconnecté de la réalité, je bousculai par inadvertance un gazier placé sur mon chemin. Quelle ne fut pas ma surprise, cher lecteur, quand je reconnus… le jeune gars de la twingo ! Visiblement, le jeunot lut sur mon visage quelque chose qui l’inspira également.

- Vous êtes l’homme qui a rencontré Marie-Emeline cette après-midi ?
- S’il s’agit de la Marie-Emeline rousse et excitée du « Ninkasi Kao », alors oui, je suis celui-là.
- Elle m’a dit que vous preniez le TGV de 19h. C’est moi qui vous ai privé de sandwich-party tout à l’heure, désolé. Je souhaitais vous présenter mes excuses pour le plan foireux. Je vous aurais volontiers laissé le créneau, en plus, mais la bougresse avait tellement faim qu’elle a attendu la fin des opérations pour retrouver un usage –communicatif, je veux dire- à sa langue et me parler de vous. Je lui ai demandé une description pour vous retrouver et faire profil bas.
- Le geste est élégant, gars, mais j’ai trouvé une suppléante assez excitée et pas trop poilue, merci.
- Ah ? Bon. Au cas où, je vous avais amené le numéro de la rouquemoute, si ça vous dit ?
- Sans façon, je n’ai pas besoin de tuyau – à part le propre mien – quand j’aborde une pétasse !
- Je vois. Et d’ailleurs, entre nous, Marie-Emeline, y a mieux, lâcha-t-il en haussant une épaule. Du genre vite rassasiée, si vous voyez. Le problème des gerces, au pieu, c’est le même qu’en athlétisme : jeune, on les pousse soit vers le 100 mètres, soit vers le marathon ! Sprint ou endurance… pas de juste milieu, c’est dommageable, non ? Marie-Emeline, elle, c’est le sprint. Vous auriez vu ça ! Le temps d’arriver chez elle, elle était quasi déjà au bout, et pourtant quand je conduis, je peux pas faire plus que le service minimum ! Charlotte, la nana à cause de qui je suis arrivé en retard à mon rencard avec Marie-Emeline, elle, c’est l’inverse : ça dure, ça dure, mais au final, on s’ennuie presque.
- Une belle analyse, gamin. T’as bien cerné le problème de la galipette avec les jeunettes de nos jours, à ce que je vois. Et tes conclusions sont à peu près les mêmes que les miennes ! Restent, fort heureusement, les anciennes, et quelques jeunes qui font exception.

Il m’a bien plu, ce jeunot, je dois dire. Pas plus de vingt ans, mais déjà la tête bien pleine et un savoir faire conséquent avec les minettes. Il m’a rappelé, je crois, le jeune homme que devenait Toinet, mon fiston adoptif. Et puis il avait les mêmes yeux que maman ! T’admettras quand même qu’un quidam qui te rappelle à la fois ta vieille et ton rejeton, tu peux pas le détester. Je lui ai tendu la main :
- Commissaire San-Antonio.
- Je m'appelle Eloi, qu’il a répondu, sans faire de chichi sur ma condition de poulardin, ce qui a achevé de me le rendre sympathique.

1 commentaire:

  1. je crois qu'en athlétisme, tu as quelques lacunes... il me semble qu'il y a aussi d'autres disciplines... A moins que la jeunesse de ton héros, ne lui ait pas encore permis d'explorer toutes les facettes du jeu !
    Quant à San-A, tu me permettras d'être un peu étonnée qu'il acquiesce, vue sa longue expérience et la richesse des descriptions qu'il fait de ses exploits...
    Sylvaine

    RépondreSupprimer