vendredi 9 avril 2010

San-Antonio à l'Isara : Epilogue - première partie

Où je récapitule pour pas que les lecteurs capitulent

Je regarde parfois des choses qui ne me regardent pas. C’est ce qui fait de moi un enquêteur hors-paire. Le Scalpé du bulbe... pardon : Achille Hachille, le directeur de la police, le sait bien, et il me passe volontiers mes initiatives un peu tsoin-tsoin quand (je devrais dire « car ») elles sont couronnées de succès. Pour une raison qui m’échappe et qui me pèse (qui m’est chape !), il a moins de facilité avec les libertés que peut prendre Béru.

Le Vieux caresse son bureau avec ses long salsifis. Il se recoiffe une mèche qui n’existe plus depuis des lustres. Me regarde. S’apprête à bonnir un discours que je n’ai pas envie d’entendre. Pour pas t’emmerder pendant une conversation, ouvre ta gueule, comme disait je sais plus qui. J’interviens donc :
- J'insiste sur le fait que la démarche de Bérurier nous a permis de mettre la main sur le stock d’Héroïne que Pozzi s’était approprié. Et d’élucider une demi-douzaine d’affaires mal classées dans lesquelles l’Italien trempait de la tête et des épaules.
- J’entends bien ! s’exclame sèchement Peau-de-Fesse. Mais vous le savez, San-Antonio. La fin ne justifie pas toujours les moyens. Surtout certains moyens ! Ce qu'a fait Bérurier...

Il se lève, fait un tour de son bureau, se rassoit. Je sens bien qu’il a envie de passer l’éponge, Achille. Mais ça ne lui est pas facile. Il va falloir que je l’aide à noyer le poisson.
- Reprenons le tout du départ, suggère-t-il. Je n’ai, après tout, pas suivi cette affaire de près. Hier midi, vous me demandez l'autorisation de prendre en charge l'affaire... 24 heures et quelques morts violentes plus tard, on m'apprend sans aucune forme de détail que Bérurier s'est rendu coupable de... de... hum.

Certains mots refusent de sortir de certaines bouches. Le Vieux n'a pas l'intention de se faire violence pour dire "prout", "zigounette" ou "augmentation salariale". Il enchaîne :
- Hum ! Parlez-moi de Joss Leton.
- Joss Leton était un chimiste jeune et brillant, monsieur le directeur. Mais instable. Il a mis sa science au service de la Maffia italienne. Dans un mauvais labo, il produisait de l’héroïne basse qualité pour le compte de Pozzi. Mais ce travail ne lui convenait pas : il se sentait capable de créer une dope bien plus élaborée, à condition d’avoir un matériel plus moderne.
- Un beau jour, intervient le Scalpé Suprême, son frère lui apprend que ces moyens sont accessibles à l’Isara, l’école pour laquelle il est garde de nuit. Juste ?

Il biche toujours quand il a l’impression de tout deviner, le Vioque. Je suis là pour l’adoucir : je décide donc de le caresser dans le sens du non-poil.
- Parfaitement, monsieur le directeur ! je m’enthousiasme. Walter Paulo, qui n’est en réalité que son demi-frère, lui suggère ceci : commencer ses travaux de recherche, puis les mettre en application à l’Isara, toutes les nuit où lui, Paulo, est de garde.
- Ce que Leton accepte, je parie !
- Vous avez tout bon, monsieur le directeur. Leton est un fortiche : il trouve rapidement la formule qui lui permet, à partir du pavot fourni par Pozzi, de continuer sa camelote pour le Napolitain tout en produisant son héroïne parfaite en parallèle. En plusieurs mois, 250kg de poudre sont dissimulés dans un faux plafond de l’Isara. Seulement voilà : au moment où Leton prévoit de commencer la commercialisation de son produit…
- Ne dites rien ! s’exclame le Tondu. Le stock disparait ! C’est cela ?

Mes yeux ronds et ma bouche béante terminent de convaincre le Dabe qu’il est loin devant Sherlock dans la hiérarchie des cadors de la déduction.
- Et je mettrais bien une pièce sur l’identité du voleur, ajoute-t-il, son long index inquisiteur pointé vers moi. C’est Walter Paulo qui a fait le coup !
- Comment l’avez-vous deviné ?
- Une inspiration, affirme le Vieux avec une modestie aussi fausse que je suis sceptique.
- C’est prodigieux, cette inspiration ! Paulo, en effet, se fait la malle avec les 250kg. Etant seul àl’Isara dans l'exercice deses fonctions, il a facilement pu réaliser l’opération en toute discrétion une nuit où Joss ne produisait pas. Le lendemain, il contacte son demi-frère, catastrophé, et joue le complice accablé : « quelqu’un s’est emparé de notre butin ! ». Paulo rassure Leton : tout le personnel de l’Isara, les élèves, les profs et tout ce qu’on peut trouver dans une école (la liste est plus longue et plus étonnante qu’il n’y parait ! mais baste, le temps me manque pour développer ce point), est soumis à un système de badge. Il va facilement trouver qui s’est introduit un nombre suffisant de fois dans la cache pour la vider.
- Alors ! s’écrie le Vieux en fermant les yeux et avec l’air de produire une réflexion intense. Alors… alors… il lance son demi-frère sur une fausse piste…
- Si vous ne m’avez jamais vu bluffé, monsieur le Directeur, profitez-en. Car vous avez mis dans le mille ! Paulo réussit en une seule ruse à : donner à son frère un indice bidon sur le coupable, qui aurait un prénom pour patronyme ; disparaitre sans laisser d’adresse en prétextant qu’il s’est trop mouillé ; faire en sorte que Leton ne puisse plus avoir accès aux relevés des badgeuses. Leton est désemparé ! Il fait alors appel Yvan Durêve, un embobineur de première. J’ignore comment ils se connaissaient, mais en tout cas, Durêve accepte de marcher dans la combine de Leton. Il commence par contacter Paul Uduku, un étudiant de l’Isara, pour obtenir une liste des doubles-prénoms. Le gosse tape dans l’annuaire de l’école et liste les personnes concernées. Elles sont au nombre de dix. Durêve déploie une armée de malfrats pas chers pour pister ces dix suspects. Dans le lot, quatre ont des alibis en béton armé pour la période du vol.
- Mais les six autres, non ! Et c’est à eux, j’en mettrais ma main au feu, que Durêve s’en est pris.

Je me retourne. Je tourne ma tête dans tous les sens, comme si je cherchais quelque chose dans la pièce.
- Tout va bien, San-Antonio ? s'inquiète le bientôt gâteux.
- Vous m’avez piégé, monsieur le Directeur ? je demande. Où est la caméra !
- Pardon ?
- Vous avez lu tout le dossier ! Et vous êtes en train de me filmer pour immortaliser mon ébahissement face à votre sagacité simulée.
- Mais grands Dieux non ! proteste-t-il. Je n’ai rien su de cette affaire, si ce n’est son dénouement. Je le jure !
- Alors comment expliquer le fait que vous en deviniez tous les rebondissements ? Car, oui, monsieur le directeur, c’est bien aux six autres suspects que Durêve s’en est pris ! Il les a interrogés, les uns après les autres.
- Et naturellement, ils ne savaient rien ! affirme le Dabe sur un ton péremptoire.
- Naturellement ! Par discrétion, Durêve a fait assassiner ceux qu’il a pu cuisiner. Comprenez : quand vous demandez à un inconnu s’il vous a dérobé une petite fortune en héroïne, vous n’avez pas intérêt à le laisser vivant derrière vous.
- Bien sûr que je comprends ! s’emporte le Vioque.
- Leslie Psales, une pro de la lame, Vatlav Elku, un Slovaque maniaque de la corde, et Jacek Enkula, un excité polonais de la gâchette, ont perpétré les trois premiers meurtres. Le Gang Rennais, un groupe de trois bricoleurs, était censé s’occuper de deux autres suspects. Nous avons retrouvé leurs références dans les affaires de Durêve. Pour brouiller un peu les pistes, notre barbu a également fait tuer trois innocents dans le laboratoire de Physique de l’école, via un pauvre bougre nommé Jeannot Reliure.
- Stop !

Le Vieux a levé sa grande paluche devant moi. Il a les sourcils aussi froncés que possible.
- Quelque chose me chiffonne.
- Quoi donc, monsieur le directeur ?
- Quelque chose qui cloche dans le plan de Durêve. Le voleur, s’il avait existé… constatant les assassinats, il aurait du se méfier, non ?
- Je ne suis pas sûr de vous suivre, affirmé-je alors que je vois clairement où il veut en venir –mais faut le faire mousser un maximum !

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