vendredi 23 juillet 2010

La résistance en short, chapitre 2 : Promotoion pour l'oncle Josef

Le début de ce second chapitre consiste en un record mondial : celui du plus grand encerclement militaire jamais effectué. Plus d’un demi-million de soldats de l’armée rouge cernés avant même d’avoir pu griller leur première cartouche, et contraints à la reddition par les troupes allemandes. Et ces centaines de milliers d’hommes, vous l’avez deviné, se sont laissés entourer en même temps que Kiev, qu’ils étaient censés protéger. Livrées à elles-mêmes, les défenses de la ville ont résisté du mieux possible en livrant une bataille de deux jours.

Le 20 septembre 1941, Kiev tombait aux mains des Nazis. Enfin bon, les dates précises, je les pioche dans un manuel d’histoire, hein ! Moi, je me rappelle que les deux jours de combat dans Kiev se sont déroulés un vendredi et un samedi, puisqu’avec le dimanche dans la foulée, ça nous a fait un « week-end » de trois jours. Alors : 19, 20 et 21 septembre… pourquoi pas ! Si les historiens l’affirment…

Le lundi suivant, en tout cas, nous sommes allés au turbin sans bien savoir ce qui nous attendrait. Les quelques jours précédant la bataille de Kiev avaient déjà été marqués par les départs massifs d’employés. Sur les 20 000 ou 30 000 juifs évacués de la ville, plusieurs dizaines travaillaient à l’usine, sans parler de Skatchenko, le directeur de l’établissement, parti lui aussi.

Ce lundi là, donc, nous nous attendions à un grand flou à la boulangerie. Un grand officier nous a accueillis, Nancy, Josef et moi. Il semblait avoir du mal à se faire comprendre des quelques employés déjà arrivés. Il s’est adressé à nous, impatient.
- Vos collègues semblent vouloir me faire comprendre que vous parlez correctement ma langue ? il a demandé en allemand et sans préambule.
- Je suis allemand, en effet, a répondu l’oncle. Josef Kordik.
- Parfait ! a conclu l’autre en se décrispant légèrement. Je suis le Major Rechner.

Il a jeté un regard un peu dégoûté aux autres employés avant de reprendre :
- Vous allez m’aider. Mon ukrainien est malheureusement approximatif : je n’ai même pas réussi à faire comprendre à ces employés que je souhaitais rencontrer le directeur.
- Il est possible qu’ils vous aient compris sans savoir comment vous répondre que le directeur a pris la fuite, a suggéré Josef.

Et l’oncle lui a brièvement expliqué la situation. Quand il a appris que l’ancien directeur était un juif, l’officier a eu un petit sursaut.
- Un problème, Herr Officier ? s’est inquiété l’oncle.
- Une crainte, plutôt : qui est-ce qui vous dit que ce juif n’a pas saboté l’usine avant de prendre la fuite ?
- Pourquoi aurait-il fait cela ? a demandé l’oncle en haussant les sourcils, l’air surpris.
- Vous seriez étonnés, a durement répliqué Rechner, de savoir de quoi « ils » sont capables. Ceux qui ne laissent pas de bombes s’en vont avec le contenu du coffre-fort.
- Je peux faire inspecter l’usine si vous le désirez, a proposé l’oncle.

L’officier a regardé sa montre, puis l’oncle, puis un liste sortie de son porte-documents. Il s’est finalement décidé :
- Faites donc cela, Herr Kordik. Puisqu’il n’y a pour le moment pas de directeur, il est inutile que je reste. Mais je repasserai plus tard, disons… (nouveau regard sur sa montre), cet après-midi. Mettez à profit ces quelques heures pour me faire un bilan précis de l’activité de votre usine : capacités de production, liste du personnel restant, stocks, fournisseurs…
- Je ne suis que chef d’équipe, Herr Officier, a objecté l’oncle. J’ai bien peur de ne pas…
- Allons, Herr Kordik, l’a coupé l’autre. Vous m’avez l’air intelligent. Vous avez visiblement de l’ancienneté, ici. En six heures, vous ferez très bien ce petit travail.
- Je pense que…
- Ne soyez pas modeste, l’a à nouveau coupé Rechner, souriant. Tenez, je vais vous montrer à quel point je vous fais confiance : si vous établissez un bilan satisfaisant, je peux vous proposer la place laissée vacante par ce juif.
- Vous me proposez de prendre la direction de l’usine ? a demandé l’oncle sans trahir la moindre émotion.
- Exactement. Si vous arrivez à prendre en main les affaires de l’usine en une matinée, vous aurez prouvé votre valeur.

Il y a eu un silence : Rechner semblait réfléchir. Il a finalement ajouté à voix basse, avec le sourire un peu gêné de quelqu’un qui confesserait son péché mignon à un ami :
- Tout à fait entre nous, nous préférons de loin laisser une unité industrielle alimentaire à un compatriote. Après tout, n’est-il pas logique que notre armée soit ravitaillée par des allemands plutôt que par des...

Rechner n’a pas terminé pas sa phrase, mais il nous a jeté, à Nancy et à moi, le regard un peu dégoûté qu’il avait jeté aux autres employés. Je ne comprenais pas pourquoi… son rictus était celui d’un homme incommodé par une mauvaise odeur.
- Je suis leur oncle, a précisé précipitamment Josef qui, lui, avait très bien compris. Nancy et Thomas sont allemands, eux aussi.

Rechner s’est détendu légèrement, il a répété qu’il repasserait dans l'après-midi, puis il s’est tiré, non sans avoir lancé sur le ton de la plaisanterie : « N’oubliez pas de contrôler le coffre-fort, Herr Kordik ! ».
- Quel abruti celui-là, a lâché Nancy au moment où Rechner remontait dans son auto.
- Cet abruti me donne une opportunité d’aborder l’occupation dans une position confortable, Nancy, a calmement répondu l’oncle. Je compte sur toi pour m’aider à ne pas rater cette occasion. Ne trainons pas.
- On n’inspecte pas l’usine ? j’ai demandé, un peu inquiet. Des fois que ce soit piégé ?
- Ce type disait n’importe quoi, Tom, m’a répondu Nancy.
- Tu diras aux ouvriers qui viendront qu’ils ont leur demi-journée, a ajouté l’oncle en se dirigeant vers le bureau du directeur.

Nancy travaillait depuis une dizaine d’années en tant qu’assistante de Skatchenko, précédent directeur. Josef turbinait à l’usine depuis presque trente ans dans la partie plus opérationnelle. A eux deux, ils ont manifestement réussi à présenter un bilan correspondant aux attentes de l’officier Rechner. Satisfait, ce dernier a tenu parole et la direction de l’usine a été accordée à l’oncle.

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