vendredi 30 juillet 2010

La résistance en short, chapitre 4 : Recrutement !

Pour être honnête, la discussion qui va suivre, je ne m’en souviens pas. Nancy a-t-elle une meilleure mémoire ? Ou a-t-elle spécialement mémorisé cet échange parce qu’elle pressentait qu'il annonçait quelque chose de pas banal ? Peut-être les deux… en tout cas, c’est elle qui m’a rappelé cette conversation au sujet du tournoi nazi. Ainsi que quelques autres les semaines suivantes, qui à l’en croire, devaient se goupiller comme suit.

Peu de temps après l’arrivée de Trusevich (en gros) :
L’oncle : Avez-vous gardé quelque contact avec d’autres joueurs du Dynamo ?
Trusevich : Très peu… à mon retour du front, j’ai croisé Makar... Makar Goncharenko.
L’oncle (tout content de montrer qu'il le connait) : L’ailier ?
Trusevich : Oui, voilà. Il m’a donné des nouvelles de 2 ou 3 coéquipiers…

Puis, plus tard (à peu près) :
L’oncle : J’imagine que vous seriez ravi de rejouer, Nicolaï, non ? Vous, vos partenaires, n’importe quel joueur… ça doit vous démanger.
Trusevich : Passé le moment où c’est la faim et le froid qui m’ont titillé, c’est sûr que l’idée de retrouver les autres sur un terrain me trotte un peu dans la tête. Mais tant que le championnat ne reprendra pas…

Pour en arriver à cette scène, dont je garde, pour le coup, un souvenir très net. C’était à table, encore, le soir d’un jour de visite du Major Rechner à l’usine.
- Je vous avais parlé, je crois, de ce championnat un peu fantoche que les soldats du Reich ont organisé pour se désennuyer ? a demandé l’oncle, plus souriant que jamais, presque excité.
- Oui, tout à fait.
- Aujourd’hui, nous en avons parlé de nouveau, avec Rechner, a annoncé l’oncle. Shvetsov, le responsable du tournoi, cherche désespérément une ou deux équipes de plus pour l’étoffer un peu. Je suis dans les petits papiers de Rechner : j’ai réussi à le convaincre que nous pourrions monter une équipe, ici, à la boulangerie, qui ferait l’affaire.

Trusevich a semblé surpris.
- Je ne crois pas avoir remarqué d’ouvrier intéressé par le foot ou même par le sport ? il a objecté. A part Thomas. Et vous, monsieur Kordik, naturellement.
- C’est pourquoi je pensais renforcer notre « équipe », pour le moment un peu juste, comme vous l’avez remarqué, avec d’autres anciens du Dynamo.
- D’autres anciens ? s’est exclamé Trusevich. Mais… nous sommes tous dispersés… certains sont probablement morts…
- Ce n’est pas le cas de Goncharenko, d’après vous, a répondu l’oncle en souriant. Et ce n’est pas non plus le cas de Kuzmenko et Svyridovskiy, dont j’ai retrouvé la trace... si eux-mêmes ont gardé contact avec deux autres joueurs, et ainsi de suite… nous pourrions arriver à onze, qu’en dites-vous ?

Trusevich n’en a pas dit grand-chose sur le coup, mais on sentait que l’idée de l’oncle le gonflait à bloc. Le dimanche suivant, il me demandait de l’accompagner rue Kreschatick, chez la belle-mère de Makar Goncharenko, où ce dernier habitait depuis son retour du front. Goncharenko ressemblait beaucoup à Trusevich à l’époque où celui-ci frappait régulièrement à la porte de l’usine. Un instant, je me suis même demandé s’il ne faisait pas fait partie des vagabonds que j’avais rembarrés dans les mois précédents. Rapidement, Trusevich lui fit part du projet de l’oncle Josef.

- C’est quand tu veux, Nicolaï, il a soupiré. Mon emploi du temps est aussi vide que mon porte-monnaie. Je serai ravi de foutre une rouste aux nazillons : avec tout ce qu’ils m’ont pris, sûr que je courrai bien plus vite qu’eux !
- J’ai les coordonnées de Kuzmenko et Svyridovskiy : je m’occupe du premier, il n’habite pas loin de l’usine…pourrais-tu contacter Svyridoskiy ? Il est à l’autre bout de la ville et je suis pris toute la semaine. Dis leur bien que mon patron offre le repas chaque veille de match…
- Par les temps qui courent, c’est un argument choc, a admi Goncharenko en soupirant de plus belle.

L’après-midi même, nous répétions la démarche auprès de Svyridovskiy, qui habitait avec une demi-douzaine d’autres types dans un appartement délabré. Svyridovskiy n’avait aucun travail fixe : il donnait un coup de main sur la ferme de son cousin une fois de temps en temps, au nord de Kiev. Il s’est révélé également intéressé, et tout aussi disponible que Goncharenko pour lancer des recherches. Et, de la même manière, il a lâché une phrase du type : « si on peut leur faire regretter de nous avoir foutus à la rue, ces cochons… »

Toute notion géopolitique survolant ma petite tête de plusieurs longueurs à l’époque, je n’ai pas saisi pas la dimension patriotique de la reformation clandestine du Dynamo Kiev. L’envahissement d’un pays par un autre, tel quel, m’aurait probablement semblé assez facile à appréhender. Mais le fait que ce soit mon pays d’origine qui envahissait mon pays d’adoption faussait tout. J’ai eu du mal à interpréter la colère et le défi dans les regards de ces pauvres bougres quand, peu de temps après, une première réunion s’est tenue à l’usine.

Dix anciens footballeurs nous ont rejoints un soir après le travail, l’oncle Josef, Trusevich et moi. Leur dégaine, misère ! Des guenilleux, tous. Goncharenko n’avait pas eu tort en affirmant qu’un repas offert avant chaque match était un argument fort pour rallier l’équipe : une bonne moitié des joueurs semblait sous-alimentée.

Trusevich a fait les présentations. Outre Goncharenko, Svyridovskiy et Kuzmenko, quatre anciens du Dynamo ont répondu présent : Korotkykh, Klimenko, Tyutchev et Putitsin. La guerre avait dispersé les autres membres encore vivants de l’effectif du club. Spontanément, ces 8 joueurs du Dynamo avaient eu l’idée de compléter l’équipe avec des joueurs du Lokomotiv Kiev, autre club de la ville : Balakin, Sukharev et Melnyk ont répondu à l’appel.

Josef fit un peu la gueule en découvrant que son équipe serait composée en partie de joueurs issus du Lokomotiv, le grand rival Dynamo. De mon côté, j’étais un peu déçu en constatant que les « pros » étaient suffisamment nombreux pour former une équipe sans moi. Mais l’excitation a pris le dessus très rapidement sur tout le reste : les onze joueurs étaient d’accord pour être inscrits au championnat des armées allemandes.

L’oncle a sans doute battu son record de sourire en affichant une inhabituelle mine réjouie quasiment tout au long de la réunion. Quant à moi, qui ne voyais jusqu’à ce jour aucun intérêt à aller au stade « juste pour regarder », j’étais très curieux et impatient de voir évoluer une équipe de « vrais » footballeurs.

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