vendredi 6 août 2010

La résistance en short, chapitre 6 : Entre déroutes et branlées

Une photo de l'équipe (FC Start en noir !).


Ce jour là les adversaires étaient sympas (je ne jouais pas)





Entre le premier et le deuxième match de l’équipe, l’oncle Josef a réussi à embaucher à l’usine tous les joueurs sans emploi. Plusieurs lits de camp furent installés dans le grenier de la réserve, qui devint un dortoir pour ceux qui avaient un problème de logement. J’ai rapidement pris l’habitude de passer les débuts de soirée dans ce dortoir, pour y parler de foot avec Trusevich, Goncharenko, Svyridovskiy et le costaud Putitsin.

La deuxième équipe opposée FC Start était formée de joueurs d’une garnison arrivée de Hongrie. La date du match avait été fixée, en dépit des demandes de l’oncle Josef, deux semaines après notre victoire inaugurale. Korotkykh, le benjamin de l’équipe, avait pourtant prévenu qu’il ne serait pas disponible, tout comme l’attaquant Kuzmenko. Svyridoskiy étant tout juste remis de son entorse à la cheville, le nombre de joueurs manquants s’élevait à trois.

- Shvetsov l’a mauvaise qu’on lui ait collé la fessée la dernière fois, a grincé Klimenko quand il a appris la nouvelle. Il va multiplier les coups-bas de ce type…
- Je peux jouer avec vous, moi, s’il faut ! j’ai répondu, plein d’espoir.
- Nous devrions enregistrer l’arrivée de deux recrues d’ici là, nous a rassuré pour sa part l’oncle Josef. Georgy Timofeyev et Pavel Komarov devraient être là. Avec Thomas, ça fera le compte.

Le 21 juin 1942, j’ai donc fait ma première apparition sous le maillot rapiécé du FC Start. Nous faisions toujours aussi débraillés, mais malgré tout : quelle fierté ! Dans le vestiaire, j’ouvrais grand les yeux et m’inspirais de la gestuelle de chacun, cherchant à « faire » le plus pro possible. Et quand est venu à nouveau le temps de la causerie et des conseils tactiques, je me suis concentré comme jamais pour tout garder en tête, pour respecter les consignes à la lettre.

Tel que je me présente depuis le début du récit, vous imaginez probablement un grand gamin mal mûri qui aurait pu, j’imagine, entrer sur le terrain pétri de trouille, rendu fébrile par ce premier match à enjeu. Je crois que Josef, à la manière dont il m’a parlé avant le début de la partie, appréhendait ce genre de panique. Il m’a répété cent fois de faire de mon mieux, de ne pas m’inquiéter…

Mais le foot, c’était mon truc ! J’adorais ça ! Et ma simplicité m’a peut-être aidé à prendre au premier degré cette formidable chance de jouer avec des cadors sans m’effrayer inutilement. Et si j’ai sans aucun doute éprouvé le souci de mal faire, il était largement compensé par mon enthousiasme et ma fraicheur. Placé en arrière gauche, je composais la charnière avec l’un des nouveaux, Komarov. Sur les côtés, légèrement plus offensifs, Timofeyev et Klimenko complétaient l'assise de l'équipe, en tant que demis gauche et droit, autour du demi centre, qui devait être ce jour là le rassurant Tyutchev. De mémoire :




Trusevich
(gardien)


Komarov et moi
(arrières)


Timofeyev Tyutchev Klimenko
(la ligne de demis)


Putitsin Melnyk
(inters)


Goncharenko Balakin Sukharev
(les trois avants)



Le match s’est très bien déroulé, pour une nouvelle victoire finale, 6 à 2. Dans cette équipe composée avant tout de joueurs offensifs et hors de forme, je me rappelle m’être fait un plaisir de défendre avec tonus et acharnement. Je garde le souvenir de duels aériens opiniâtres avec l’avant-centre adverse et d’un repli défensif en sprint pour finalement tacler un adversaire sur le point de frapper au but. Mais les joueurs du FC Start rendaient les choses tellement faciles que j’ai également pu m’intégrer dans plusieurs mouvements offensifs.

A la fin du match, l’oncle était à deux doigts de chialer quand il est venu me féliciter pour ma performance. Ma sœur Nancy m’a affirmé qu’elle n’avait jamais été aussi fière de moi. Ma foi, sur le coup, j’aurais pu lui faire remarquer que, de mémoire, personne n’avait jamais manifesté jusque là la moindre fierté à mon endroit. Mais je n’y ai pas songé : trop heureux, Tom, d’être utile, de se distinguer un peu ! Pour une fois… Autant dire que j’ai passé tout l’été à harceler l’oncle Josef pour savoir quand se joueraient les matches suivants et quels joueurs de l’équipe étaient dispos et surtout absents.

J’ai appris à connaître mes partenaires au fil des matches et des journées de travail communes à l’usine. Voici le souvenir qu’il m’en reste aujourd’hui, près de 70 ans après…

Il y a ceux qui n’ont pas raté une miette du championnat. C’était le cas du gardien Trusevich, impressionnant d’agilité ; le demi gauche (d’adoption) Klimenko, teigneux et technique ; l’ailier Goncharenko, virevoltant bien qu’il fut le plus âgé de l’équipe ; Melnik l'inter gauche, longiligne, efficace et discret ; et le barraqué Putitsin, habituel inter droit et très apprécié des dames.

Timofeyev, le demi droit capable de centres prodigieux de précision (le joueur de l’équipe dont j’étais le moins proche, sans qu’il n’y ait de raison particulière à cela), et Komarov l'arrière à la détente extraordinaire, auraient joué tous les matches s’ils avaient fait partie de l’équipe dès le départ.

La fatigue et différentes contraintes entrainèrent un roulement parmi les autres : Svyridovskiy, qui jouait très physique, s’est souvent blessé, me cédant alors sa place à l’arrière ; le colosse Tyutchev, un taiseux, excellent demi centre ; Balakin était très adroit face au but, mais il a peu joué attaquant car il pouvait jouer à n’importe quel poste avec réussite ; Korotkykh, polyvalent sur tous les postes de demis et d'inters, jouait aussi bien des deux pieds ; Sukharev, autre ailier, manquait un peu de coffre mais pas d’idée ; le toujours bien placé Kuzmenko, enfin, était le buteur attitré de l’équipe.

J’ai pris finalement part à trois rencontres entre juin et août. J’ai raté le troisième match, gagné 11 à 0 contre l’équipe d’une garnison venue cette fois de Roumanie, ainsi que l’opposition aux soldats responsables du réseau de chemin de fer, gagnée 9 à 1. Ce match a d’ailleurs été marqué par un but surprenant de Kuzmenko : un missile expédié dans le but adverse depuis l’extérieur de la surface de réparation… de la tête. Un but insensé !

Je n’ai pas participé non plus à la victoire 6-0 contre l’équipe nommée « PGS », composée de soldats venus d’Allemagne. En revanche, j’ai été des deux rencontres face au « MSG Wal ». Lors de la première opposition, gagnée 5-1, Kuzmenko a inscrit un nouveau but hors norme : en pleine course et grâce à un mouvement peu évident, une frappe du talon le ballon, en plein dans la lucarne.

Mais c’est le match suivant, toujours contre le MSG Wal, qui remporte la palme du souvenir le plus heureux dans ma caboche. Tout en étant très bien placé dans la hiérarchie des évènements que j’aurais pu gérer avec un peu plus d’à propos.

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