lundi 9 août 2010

La résistance en short, chapitre 7 : Réussir un match mais mal gérer le reste

Pour commencer, nous avions enfin récupéré un équipement potable grâce à un des anciens responsables du Dynamo qui, apprenant que l’équipe s’était en partie reformée, nous avait fourni des tenues dignes de ce nom. Et puis le petit stade était totalement plein ! Le public avait répondu présent. Mais nous y reviendrons…

Côté jeu, les joueurs du MSG Wal ont été plus coriaces que lors du premier match, et bien meilleurs que toutes les autres équipes qu’on avait rencontrées jusque là. Après six matches aisément remportés, nous étions peut-être trop sûrs de nous… Là, pardon ! Les adversaires nous ont bien bougés ! Et puis, il faut le dire : ce match était le troisième en cinq jours ! Un rythme très élevé pour nous autres, usés par le travail à l’usine.

Pourtant et pour ne pas changer, Kuzmenko a marqué en premier, sur une belle passe de Goncharenko. Mais les autres, en face, n’ont rien lâché : ils ont envoyé du bois juste après la mi-temps pour renverser la vapeur et nous flanquer deux buts superbes.

A 1-2, on s’est regardés, un peu surpris, avec les autres : nous n’avions jamais été menés jusque là ! On s’est alors donné au maximum pour accrocher au moins l’égalité, qui provoquait alors le tirage au sort du vainqueur. Mais les salauds, en face, ne reculaient pas d’un centimètre !

A dix minutes de la fin du match, un peu désespéré, j’ai fini par abandonner mon poste d’arrière pour aller soutenir les avants. Kuzmenko dans l’axe et Sukharev à gauche, à bout, ne touchaient quasiment plus le ballon. Goncharenko, lui, continuait à mettre le chantier sur notre aile droite, mais sans efficacité.

C’est finalement Klimenko, le petit demi gauche teigneux, qui a trouvé l’ouverture : en deux dribbles, il s’est trouvé en bonne position, mais sa frappe a heurté le poteau. Kuzmenko, bien placé, a réussi à récupérer la balle et à la passer, en aveugle, vers le point de pénalty. Sukharev était trop court, moi pas ! J’ai envoyé une grosse mine qui a laissé le gardien sur le cul.


A 2-2, ça respirait mieux dans les rangs du FC Start. Moi, déjà bien content d’avoir marqué, je suis retourné à ma place, en défense. Mais mes coéquipiers ne m’ont pas laissé le temps de savourer : finalement, le match nul ne leur suffisait plus. Sur notre première occasion après l’égalisation, Goncharenko a obtenu un corner. Par habitude, je restais toujours en couverture sur les corners, mais cette fois, Trusevich m’a obligé à monter, m’engueulant presque « tu vois bien que de toute façon, nos adversaires n’essaient même plus d’attaquer ! tu seras plus utile devant ! ». C’était une bonne inspiration : sur le corner, Goncharenko a réussi à envoyer le ballon droit sur moi, et de la tête, j’ai prolongé la trajectoire du cuir au fond des filets : 3-2 !

Ah ça, quand je vous dis que je reste marqué par ce match… Mes deux premiers buts, tous les deux décisifs ! J’en ai pleuré de joie. Les soldats du MSG Wal, qui étaient de bons gars, nous serrèrent la main sans rancune à la fin du match et nous saluèrent avec fair-play. Le geste était d’autant plus sympa que la plupart des mecs des deux équipes ne parlaient pas la même langue.

Malgré tout, l’auteur des deux buts adverses, un grand blond souriant, est venu me voir en particulier.
- J’ai cru remarquer que tu comprenais allemand ? il m'a demandé.
- C’est vrai, je le parle, aussi, j’ai bêtement répondu, encore tout sonné par l’émotion.
- Je m’appelle Kaminski, s’est-il présenté en me serrant à nouveau la main.
- Thomas Hübner !

Son sourire a alors disparu :
- Ecoute… euh… je ne sais pas si j’ai le droit de te dire ça mais… méfiez-vous du Flakelf. La prochaine équipe que vous rencontrerez. Ils sont là pour vous mater. Berlin n’aime pas du tout voir des ouvriers ukrainiens se balader si facilement dans un championnat Nazi.

Balakin est alors passé à notre niveau en tapant dans le dos de Kaminski, braillant en Ukrainien qu’en s’entraînant beaucoup, le MSG Wal aurait peut-être une petite chance d’arracher un jour le match nul contre nous. Kaminski, qui n’avait sans doute rien compris, a vaguement souri dans sa direction avant de reprendre sur le même ton confidentiel :
- Il se dit que le Fürher lui-même se préoccupe de votre cas… méfiez-vous, Hübner : quand Hitler se mêle de quelque chose, cela se termine généralement mal. Je…

Kaminski jetait sans cesse des regards méfiants autours de nous, veillant à ce que ses coéquipiers ne surprennent pas la discussion :
- Je suis d'origine Polonaise... Je suis contre Hitler et la doctrine nazie… et je suis très content que vous ayez trouvé le moyen de les combattre. Mais je ne souhaite voir mourir personne pour un match de football… Dites bien cela à vos coéquipiers. Bonne chance, Hübner.

Tête en l’air par nature, mais en plus étourdi par ma contribution à la victoire, j’ai à peine écouté ce que me disait Kaminski. Et je ne l’ai surtout pas compris. L’évocation d’Hitler avait quelque chose de très fort, bien sûr. Mais je n’arrivais vraiment pas voir le lien entre Hitler et notre petit championnat un peu bidon. Pourquoi nous mater ? Comment pouvions-nous être une menace ? L’idée avait quelque chose de presque comique.

Je me revois néanmoins, le soir même de la victoire contre MSG Wal, tourner et retourner l’avertissement de Kaminski dans ma tête, cherchant à en extraire le message-clé. N’aboutissant à rien de convaincant, j’ai décidé de ne rien dire à personne. Les indices étaient pourtant clairs tout autour de moi…

Au fil des matches, les tribunes s’étaient garnies d’habitants de Kiev. Notre équipe s'était fait une sympathie dans la ville, à coup de bouche à oreille. Lors du premier match contre MSG Wal, le stade était totalement plein pour la première fois. Pour le fameux 3-2, Shvetsov avait eu l’idée de rendre les places payantes. Pour 5 roubles, malgré la misère et la famine ambiante, le stade s’était rempli à nouveau.

J’aurais dû me demander pourquoi les habitants de Kiev avaient tant envie de voir les soldats allemands battus par des Ukrainiens…

J’aurais dû piger pourquoi le Major se faisait de moins en moins amical avec l’oncle Josef, alors que l’usine tournait avec une efficacité que je n’avais jusqu’alors jamais connue.

J’aurais dû remarquer la joie sauvage éprouvée par mes coéquipiers après chaque but inscrit. Autant de victoires auraient dû finir par les blaser, mais ils continuaient à tout donner.

Ah ! Tous ces « j’aurais dû » me rendent malade. Ils complètent parfaitement l’avertissement de Kaminski. Et ils ont un petit frère : « j’aurais dû » transmettre le message du Polonais à mes coéquipiers…

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