lundi 8 février 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 6

« Le président à dix sous » n’est pas forcément équivalent à « Dissolution à 2 balles »

Physiquement, le divisionnaire Deboeuf a quelque chose de Jacques Chirac, figure-toi. La carrure, déjà. C’est une grande tige qui doit dépasser le mètre quatre-vingt-dix autant que je dépasse les bornes de l’académie française. Les mains formid’, très longues, prêtes à serrer d’autres mains par dizaines à la minute. Le sommet du crâne, c’est kiff également : ça ressemble à s’y méprendre à la paume d’une main (pas celle de Chirac, en revanche, sinon un grand poil viendrait l’ornementer à coup sûr !).

Enfin, l’air solennel, limite furax, que Chichi n’arborait qu’en de funestes circonstances. Tu te rappelles, les corses qui sifflaient la Marseillaise au stade de France ? Z’avaient mis Jacquot en renaud, les insulaires ! Bin là, Deboeuf c’est pareil, même bobine.

La diff avec Chirac, sur cette mouille, c’est que tu n’imagines pas facilement qu’elle puisse sourire. Deboeuf n’a rien d’un Chirac au salon de l’agriculture, par exemple (un comble vu son nom !), d’une séance de dédicaces de bouquins. Le dernier mouvement rieur des zygomatiques du divisionnaire datent d’un âge si canonique que la grosse Bertha elle-même ne doit pas s’en rappeler.

Du reste, je n’ai pas tardé à sentir que je l’emmouscaillais, le divisionnaire. Ça se voit à l’éclat de son œil, Deboeuf. Le fait que je sois bien meilleur flic que lui, et donc plus à même de résoudre l’affaire, Decheval, il s’en bat les steaks, Deboeuf ! Je lui suis envoyé dans les pattes, Deboeuf, et il a l’impression qu’on le met sous tutelle, qu’on ne lui fait pas confiance… Autrement dit, ma présence nuit à son prestige, Deroseau. En étant là, je ternis son image et je l’écorne, Deboeuf. S’il n’y avait que Deboeuf pour prendre les décisions, je retournerai à Paris, Deveau, derechef. Je ne suis pas sa muse, au Deboeuf, je ne l’inspire pas, contrairement à bien d’autres flics.

Car, tu l’auras noté, toi qui retiens chaque détail de mes aventures : pour beaucoup de poulagas, bosser avec moi : c’est bonnart ! Les feignasses profitent de ma présence pour me refiler le bébé et se barrer à Saint-Trop’ avec bobonne. Les incompétents me collent au slip à n’en plus pouvoir, espérant apprendre un maximum à mon contact. Les soucieux de leur image rameutent la presse pour apparaitre en photo à mon côté et font en sorte que leur nom soit aussi gros que le mien dans le baveux qui annonce la résolution de l’enquête. Les pédoques (autrement dit les tantes) tentent de me mettre le grappin dessus. Ceux qui s’ennuient sont contents car ils savent que dans le sillage de mes enquêtes, l’action fait du ski nautique[1].

Mais Deboeuf, lui, fait partie des teigneux, des jaloux, des hiboux, des cailloux, des genoux et surtout des poux. Il me voit comme une concurrence, une mise à l’épreuve… je peux pas lui reprocher, cela dit, et ce pour deux raisons. La première, c’est qu’il faudrait déjà que je lui proche une première fois. La seconde, c’est que son attitude se conçoit tout à fait (conçoit pour, ou conçoit contre). Tiens, toi, par exemple : tu serais heureux si ta copine t’annonçait impromptu qu’elle faisait appel à son ex pour le premier samedi du mois ? Malgré l’aspect reposant d’une telle décision, tu boufferais ta cravate, me trompé-je ?

Alors Deboeuf, en con-séquence, ne s’est pas levé quand je suis entré, il ne m’a pas tendu sa pogne (et pourtant, je te l’ai dit : des battoirs pareils sont faits pour serrer des pinces ! ceci dit je préfère les miennes, idéales pour serrer des miches), et ne m’a pas invité à m’asseoir (il ne m’a d’ailleurs pas invité à Massy non plus). Comble du vicelard : il a placé devant son bureau une chaise en toc de chez la Fouarfouille, quand un fauteuil moelleux à souhait est disponible dans la pièce, mais remisé dans un angle. Ça s’annonce pas des plus confortables, cet entretien ! En particulier pour mon fignedé, que j’installe malgré tout sur l’indigne dossière.

Heureusement, l’échange est laconique, lapidaire, synthétique, expédié rapido. Pardon ? Que dis-tu ? Tu voudrais néanmoins connaître les grandes lignes ? Fastoche ! Paris-Lyon-Marseille d’une part, et Paris-Bruxelle-Amsterdam. Comment ? Tu ne parlais pas de réseau ferroviaire ? Oups. Il faut bien dire que tu n’es pas très clair ! Les grandes lignes de la converse, les voilà, elles vont suivre. Tu croyais quand même pas que j’allais les laisser sous scellés, non ? Tu me connais, à force : je te dis tout, c’est systématique, même quand je fais le choix de te laisser tartir quelques pages avant de t’affranchir. Mais toi, bêtement, tu m’interromps pour avoir des détails que tu aurais eu plus vite en la bouclant ! Je te conseillerais bien de te remettre en questions, gars, mais les réponses à ces questions risqueraient d’être dures à entendre…

Bon. Bref ! Où sont nos moutons ? Par là-bas ? Au paragraphe suivant ? Ah tiens, oui, je les vois. Bêêêê ! Retournons-y, alors. Suivez-tous bien, personne derrière le serre-fil, et le dernier ferme la porte !

En quelques instants, donc, Deboeuf me fait piger, sans naturellement le dire textuellement, qu’il est blasé de me voire arriver souiller ses plates-bandes. Il dit se tenir à ma disposition avec ses hommes, me renvoit vers son adjoint pour prendre connaissance des indices concernant les deux premiers meurtres, puis me congédie. Le tout en tirant une tronche longue comme la liste des nanas qui t’ont flanqué une veste depuis ta puberté. En somme, il ne me refile le paquet qu’à contrecœur, sous la contrainte… le Vieux l’a pris à contre-pied ! Mais il compte contre-attaquer, agir à contrario pour contrarier mon enquête, voire me mettre une contravention qu’on troque contre corruption dans les contrées où l’autorité est contrastée[2] [3] [4] !

Tu l’as compris : j’ai l’impression qu’il ne va pas beaucoup m’aider, le père Deboeuf. Normal, remarque, ce type m’a l’air sacrément con. Or, les cons, c’est comme la neige : plus il en tombe, plus c’est difficile d’avancer ! Face à cette attitude des plus déplaisantes, pour tout te dire, moi je reste courtois. Je me dis in petto que la meilleure réponse viendra du terrain. Quand j’aurais résolu l’énigme malgré lui, il aura l’air bête autant que toi tu as l’herpès !

Puisque le divisionnaire me mets à la porte (je préférerais me mettre au Whisky, mais tu sais ce que c’est… regarde-moi ça, cette poussière ! et ces vitres très mal lavées : tu m’as compris, l’alcool et le turbin ne font pas bon ménage), je me lève, me meus (meuh, meuuh, Deboeuf !) jusqu’à la porte, et jette un dernier regard sur cet enfoiré, qui est déjà penché sur un papelard quelconque. Je regrette de ne pas contrôler mon sphincter comme ce cher Béru, la perspective de craquer dans ce burlingue une perle de la famille des silencio-odorantes me paraissant des plus plaisantes. Incapable d’accéder à mon propre désir, je sors.

*
*abc*


C’est dingue ce qu’on peut faire avec deux-trois bricoles ! Tu veux une preuve ? Saint-Thomas, va. Je te reconnais bien là : l’autre jour, tu refusais même d’admettre que ton voisin Alphonse embroquait ta greluche derrière ton dos malgré la présence de son slip kangourou sous ton oreiller ! Il t’en faut toujours plus, alors ! Une preuve, donc ? Cesse de reluquer les jupons alentours et fixe tes châsses sur ce qui surplombe le présent paragraphe. Tu saisis ?

Et oui, trois fois rien, ou plutôt trois fois une étoile, le tout disposé en un triangle équilatéral, et cela en dit bien aussi long qu’une phrase de type : « Un laps de temps certain s’est écoulé, notre héros se trouve à un autre endroit désormais, où, gageons-le, il rencontrera d’autres personnages hauts en couleurs et d’autres intrigues ! ». Car, avoue-le, sans t’arrêter sur ces trois étoiles plus d’un quart de seconde, tu n’en as pas moins pensé, effectivement, qu’une éclipse[8] temporelle séparait mon départ du bureau de Deboeuf du paragraphe suivant !

Je suis maintenant devant l’Isara. Les dossiers que l’adjoint de Deboeuf m’a refilé sont dans ma fouille, mon python dans mon holster, mon pénis dans mon slip et mon slip dans mon falzar, et, pour finir, tout est dans l’ordre.

Eloi me guide vers une petite salle d’étude, où je pourrai compulser en toute tranquillité les docs obligeamment rédigés par les collègues de la criminelle Lyonnaise en attendant l’évolution de la traque des deux vilains de Duroc, les deux pieds-nickelés. Pourquoi ici ? Parce que c’est moi qui écris, et toi qui lis ! A-t-on déjà vu un canasson demander à son jockey pourquoi courir après un bête lévrier ? Bon ! Je te réexplique une ultime fois le principe : j’agis en virtuose, tu tournes les pages en silence, et ainsi notre binôme fonctionne en harmonie !

Je dois te le dire, charmante Elvire : le coup des doubles prénoms, je ne m’y fie pas encore complètement. Ça n’a ni queue ni tête (comme toi !), bon sang de bonsoir, je n’imagine vraiment pas les critères qui pousseraient quelque malotru à estourbir des zigs sur leur simple patronyme ! L’Isara reste donc le seul point commun à tous les meurtres qui me semble complètement fiable. Je sens qu’il est souhaitable de m’imprégner de l’ambiance, de connaître les bâtiments, de croiser le personnel, de fouler le lino, de gafer les mignonnes étudiantes d’un œil salingue, et tout le tralala.

T’es choqué, Aimé ? Le commissaire San-Antonio, lubrique en évoquant de jeunes et innocentes étudiantes, ça t’interpelle ? Allons, allons ! Des sondages très sérieux montrent bien que 117% des individus de sexe masculin lisent ma prose essentiellement pour les passages à caractère fripon ! Ose dire que tu n’en fais pas partie, pour voir ? Bien ! Quant aux étudiantes, elles n’ont rien d’innocent, crois-moi ! Ce sont plutôt des coupables découpables ! Coupables de stupre et de luxure, parfaitement, et ce bien avant leur bachot, d’ailleurs. Les crevettes qui déambulent dans les couloirs de l’Isara savent tout sur le zizi-panpan depuis lulure, certaines seraient même probablement capables de te décrire les bigorneaux de tous les jeunots de leur promotion, n’en doute pas. Avant, que veux-tu ? les donzelles étaient coces, très sobrement. De nos jours, les gerces sont précoces, basta ! Bientôt, tu verras, les gamines seront dépucelées avant leurs parents !

Avec Eloi, on s’installe dans une salle minuscule. J’ouvre les dossiers du sieur Deboeuf, que je m’apprête à survoler. Je veux confronter les faits officiels avec le ressenti du gone. Il a connu les trois victimes, de près ou de loin, il est donc à même (bien que pour le moment, il soit à Lyon) de faire des liens qui auraient échappées aux équipes de la criminelle.

De son côté, Eloi a amené l’Isaraphone, l’annuaire de l’école, pour recenser les doubles prénoms. Je crois qu’il veut vérifier pour de bon s’il n’a pas oublié une autre de ses connaissances ayant cette particularité : il ne le montre pas trop, mais il a été secoué par l’histoire avec son poteau N’a-qu’une-fesse. Par ailleurs, j’imagine qu’il compte vérifier s’il y a une connexion possible entre tous les Jean Daniel et les Sophie Martin. Moi, je te l’ai dit : je cautionne sans trop de conviction cette piste là, mais je la boucle.

Nous potassons nos documents respectifs. Rien, dans ce que je lis, ne m’interpelle réellement : il s’agit de rapports vite chiés, mal chiés par les enquêteurs de Deboeuf. Le lien entre les deux meurtres n’étant probable que depuis aujourd’hui, il n’est fait aucune passerelle entre les deux affaires. A moi de les découvrir, avec l’aide du gone ! Je commence à élaborer une liste de question à son attention.

Marrant, cette ambiance studieuse ! Souvenirs du collège… Je me revois en étude, bien des années en arrière, travaillant aux côtés de mes camarades de classe, seulement distraits par les jupes polissonnes des « grandes » du lycée. Le silence, dans tous les lieux d’enseignement, est le même, tu as remarqué ? C’est pas le silence de quand tu dors, ni celui de ta copine quand tu la demandes en mariage, ni celui de la gauche quand il faut émettre une idée constructive. C’est un silence particulier, un peu doux et ronronnant, généré par le labeur et qui, quelque part, incite à la somnolence. En ce qui le concerne, notre présent mutisme, à Eloi et moi, nous permet surtout de mieux savourer la sonore explosion qui retentit juste au-dessus de nous.


[1] Je ne me rappelle pas avoir déjà fait une métaphore aussi sensass’. Et toi ?
[2] Le premier qui lit ses deux phrases à voix haute sans postillonner gagne un paquet de Kleenex.
[3] Une allitération en «/kɔ̃tʁ/» ! Du Jamais vu ! San-Antonio repousse les limites de la littérature ! (s) Flaubert
[4] Deux notes de bas de pages appliquées au même endroit [5] ! Voilà une innovation qui montre bien tout le caractère (d’imprimerie) de San-Antonio. (s) Gutemberg
[5] Avec celle-là ça fait même 3 ! (s) San-A[6]
[6] San-Antonio nous propose une nouvelle invention que je me presse (d’édition) de relever : la note de bas de page dans une note de bas de page ! (s) Gutemberg[7]
[7] C’est fini ce chantier, oui ? (s) L’imprimeur
[8] Comme le dirait Bérurier.
Psst... d'ici vendredi, un chapitre bonus !

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