lundi 1 février 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 5

Ne dites pas « vent frais », dites « brise-glace »

Pourquoi sont-ils revenus sur place, ces gougnaffiers ? Toi, suspicieux autant que suce-pisseux, tu subodores une facilité de scénario de ma part, je suppose ? Moi je te réponds ceci : les fossoyeurs de N'avait-qu'une-fesse sont venu vérifier que le turbin était bien exécuté. Leur démarche de ne repasser qu'une bonne demi-heure après la gâchette party leur assure une relative discrétion : je te l'ai dit, le trafic continue quasi normalement, et il n'y a sans doute plus aucun badaud actuellement sur le quai qui y étaient déjà tout à l'heure. Personne ne trouverait donc leur retour suspect, puisque personne ne devine qu'il s'en agit d'un ! Tu me suis ? Oui, mais je suis moi !

Et puis, le barbu comme le bonnet pensent avoir opéré en toute discrétion. Ils n'imaginent pas avoir été gaulés par Eloi tout à l'heure. Et quand bien même : en ne sortant leur bobine du métral (un métral, des métros) qu'un petit instant, le risque d'être retapissé était faiblard. Mais j'ai l'oeil ! J'ai même les yeux : Cyclope n'a qu'à bien se tenir...

Je te l’ai dit : je ne suis pas dans le même wagon que Ribouldingue et Croquignol : je les file au char ! Je les mate sans-souci (bien que n'étant pas à cette station qui se situe, je le rappelle, à Lyon), car les extrémités des compartiments sont vitrées. Les deux présumés vilains discutent : con s’il y a bulle ! Ribouldingue se gratte la barbe en écoutant Croquignol s’agiter sous son bonnet. Si je ne me trompe pas, Eustache, les rôles sont ainsi répartis : Ribouldingue est le DRH de la bande, c’est lui qui effectue les démarches auprès des potentiels « contacts ». Croquignol, lui, sort la sulfateuse quand les entretiens se passent mal.

Présentement, je sens que ce dernier suggère, une fois de plus, de sortir l’artillerie (l’art-tuerie, c’est son truc !), mais en changeant de cible : ce n’est plus d’un Isarien à deux prénoms dont il s’agit, mais d’Eloi. Revenant sur les lieux du crime, comme le fait tout bon assassin d’après un poncif bien connu (s'il s'agit d'un souverain poncif, je penche non pas pour Pie VII, mais plutôt pour Assa V !), ils ont repéré le gone, debout juste à côté d’un poulaga athlétique et spirituel (ne demande pas qui ! tu es vexant) qui fouillait les poches du défunté. Poche où ils ont enfoncé un tract publicitaire le matin même sous les yeux... d'Eloi, qui pourrait faire le lien. Alors oui, lui, Croquignol, il est pour une mise au point un peu violente.

Ribouldingue hausse une épaule et s’apprête à répondre quand il m’aperçoit de nouveau. Le vacarme du métro et le double-vitrage qui nous sépare m’empêchent d’entendre ce qu’il dit précipitamment à Croquignol, mais en les voyant détourner les yeux, je capte nettement leur embarras. Ma présence va les décider à agir, je le sens. Et cela ne m’arrange pas pour trois raisons :
- je suis parti précipitamment de la maison pébroque, y laissant mon arme de service.
- s’ils défouraillent ici et maintenant, la rame de métro ressemblera rapidement à la boucherie sanzot, avec les usagers RATP dans le rôle de la marchandise saignante.
- ces deux raisons en valent bien trois !

Je continue à les reluquer : tu comprends, Gontrand, que je ne suis pas en position de force, et il va me falloir tout faire pour semer ces deux peignes à cul rapido. Autrement dit, si je ne peux ni les suivre, ni les appréhender, il me faut à minima assimiler un maximum de détails sur eux, leurs bobines, leurs fringues, et tout le tintouin. Manière de pouvoir émettre un signalement potable aux collègues, et que cette filature express ne serve pas à podzob.

La raie (à moins qu'il ne s'agisse de l'arrêt ?) suivant est Montparnasse-Bienvenüe. Au passage, quelle bonne idée d’attribuer à la station d’une gare le patronyme d’un ingénieur des ponts et chaussées nommé Bienvenüe ! Suivant ce principe, je rebaptiserai la station Chatelet "Edward Hall", la station Gare de Lyon "Richard Coeur de Lyon", Porte des Lilas "Serge Gainsbourg", Gare du Nord "Line Renaud", Pantin "Jean-Louis Debré", Bir-Hakeim "Jean Delatour", Place d'Italie "Rocco Sifredi", Place des fêtes "Jean-Louis Borloo", Invalides "AS Saint-Etienne", La muette "Ségolène" (ah tiens ? ça ne colle pas !), Les volontaires "Parti Socialiste" (non plus !), La Fourche "Rocco" (encore !), und so weiter, tu as saisi le principe.

Quoi qu'il en soie (comme dirait un papillon de ma connaissance), arrivé à Montparnasse, j’ai mémorisé une somme conséquente de détails. Je ne pense pas pouvoir en retenir davantage, d’autant moins que depuis qu’ils m’ont repéré, les vilains se sont détournés (il est certainement plus facile de se détourner que de détourner un airbus, soit dit en passant).

Sereinement, je me déporte (ce serait bête de se défenestrer d'un métro), et je m’éloigne d’un pas léger. Sans avoir besoin de tordre le cou, je devine que mes pieds nickelés sont également descendus, quelques mètres derrière moi, de leur wagon. Soudain, je lance un sprint qui ferait jaser Jazy, j’ose le dire[1]. Bruits de cavalcade derrière moi... Alors que la sonnette du métro retentit, je bondis à nouveau dans la rame.

Bilan de cette petite course : rien n’a changé au niveau de nos placements relatifs. Je suis dans le wagon trois, eux dans le deux. Mais ma petite ruse clarifie les intentions de chacun : je veux leur échapper, et eux en veulent à mon calbar ! Je les vois toujours, derrière le double plexiglas : ils ne s’empêchent plus de me mater, maintenant. Pire : ils me fusillent du regard ! Une salve qui ne m’ébranle aucunement, certes, mais qui en laisse présager une autre un tantinet plus concrète : Croquignol sort son soufflant, qui n’a rien d’un sous-flan, croyez-moi !

Je me dirige illico vers le fond de mon wagon, pour m’éloigner le plus possible d’eux. Une fois proche de la dernière porte, je m’accroche et tire brutalement sur la poignée de freinage d’urgence. Bien que je ne les distingue plus très bien d’aussi loin, je pense que mes deux nouveaux amis ont culbuté, comme tous les autres passagers qui avaient le malheur d’être debout quand la rame s’est brusquement arrêtée. Sans chercher à vérifier, je donne un coup de pied sec (a-t-on déjà vu quelqu’un donner un coup de pied mouillé, ou même humide ?) dans un boitier contenant un extincteur de secours. La vitre dudit boitier explose gentiment. Je me saisis de l’extincteur dont je me sers pour démolir la vitre la porte la plus proche. En un coup, j’ai ménagé une ouverture juste suffisante pour un faux-filet. En deux coups, je peux m'y faufiler.

Tout a été calculé au quart de poil, et non pas au car de poils, aucun touriste portugais ne trainant dans les parages. Je t’explique : au moment du coup de frein, les deux premiers wagons s’étaient déjà engouffrés dans le tunnel menant à la station suivante ; mon wagon, lui, était encore face au quai, OK ? De ce fait, je peux rapidement poser le pied dessus et filer dans le dédale de couloir de la station Montparnasse, alors que mes deux loustics doivent avant tout se frayer un passage jusqu’au troisième wagon pour pouvoir sortir de la rame. Ce qui leur impose l’effraction préalable des deux vitres qui nous séparaient il y a encore 30 secondes.

Le laps de temps ainsi grapillé me permet de gagner rapidement la sortie la plus proche. Au grand air, j’hèle un taxi. Je lui demande de me driver sans attendre jusqu’à Duroc, où je dois récupérer ma Maserati et le gone Eloi. Mon chauffeur, qui s’agite tellement sur son siège qu’il doit avoir une colonie de morbacs nichés dans le fignedé, me répond que c'est à peine à une station de métro de là. Comme je lui dis que je m'en tamponne et que je lui sucre son pourliche s'il continue à finasser, il obtempère.

Pendant que mon Robert de Niro personnel agite son derche et que son taxi nous ramène vers Duroc, je fais un nouveau point. A quoi a servi cette petite excursion souterraine, menée non au pas galop, mais trot (politain) ? Les avancées sont les suivantes : je suis désormais sûr que les deux gus repérés par Eloi étaient impliqués, ensemble, dans le meurtre de Fabien Henry. Je connais désormais leurs minois et j’ai une meilleure idée du mode de fonctionnement du binôme. Bon.

Ce qui me taraude, à présent : j’avais sous la pogne deux suspects en or massif, et faute de moyen, j’ai du mettre les adjas au lieu de les serrer. Dans une affaire lourde de trois cadavres (et la pesée n’est, à mon idée, pas définitive), débusquer deux filous dans l’heure qui suit le lancement de l’enquête est un petit miracle ; les laisser filer constitue une bévue conséquente.

Je choppe Eloi à Duroc, lui bonnis en trois phrases un résumé de l’épisode précédent qu’il a raté en même temps qu’il a raté le métro, puis je l’installe dans le fauteuil passager de ma guinde et retourne à la maison poupoule en quatrième vitesse. En chemin, puis sur place, je passe quelques coups de fils express comme suit.

Le premier à Mathias le rouquemoute, à qui je donne un signalement précis des deux vilains : charge à lui de trouver leurs noms et d’avertir tous les poulagas de la capitale en urgence. Je ne m’inquiète pas, le flambé va me faire ça en un temps record, il a un système de fichage ultra-perfectionné des filous du monde entier que le monde entier lui envie, justement. Si Croquignol et Ribouldingue sont des pros, il saura mettre un patronyme sur leurs tronches en moins de temps qu’il n’en faut à un cul-de-jatte aimant les culs de chattes pour se retrouver dans un cul-de-sac. Je lui demande en outre, au flambé, de se rendre à Lyon dès que possible pour fureter à la morgue et contempler les deux premiers cadavres.

Le second appel est pour Béru, pour lui demander de suivre attentivement la recherche des deux gredins, et de prendre les choses en main en cas de besoin. Las, c’est la Pine qui répond d’une voix chevrotante que l’Enorme est suspendu jusqu’à nouvel ordre. « Mais ne t’inquiète pas, Antoine, je m’occupe toujours d’élaborer une stratégie de défense. Moi vivant, Alexandre-Benoit ne sera jamais acquitté, il sera écroué, tu peux me croire sur parole ! » Renonçant à expliquer au débris le sens des mots "écrouer" et "acquitter", je m’apprête à passer un coup de fil subsidiaire à Jérémie Blanc quand Mathias me recontacte : les crapules sont identifiées et leur signalement passe déjà de main en main dans tous les commissariats de Pantruche. Il me faxe le nécessaire avant de filer sur Lyon.

Je reprends ma course de téléfond. Monsieur Blanc. Sa chère Ramadée est malade actuellement, et le négus s’est mis en congé pour rester à son chevet. Je lui demande nez-en-moins (ça tombe bien, sa femme souffre du syndrome du nez-vide) de prendre la place de Béru pour ce qui est du suivi des recherches de mes deux crapules. Il me fait savoir que je suis « sacrément chié », mais que je peux compter sur lui, dès lors qu’il n’est pas besoin de quitter Pantruche pour se faire.

Pénultième échange tel-est-faux-nique avec le Tondu number one, le directeur de la police. Je lui demande de me confier l’enquête de la station Duroc et celles des deux meurtres Lyonnais. « Et quelle justification devrai-je donner au divisionnaire Deboeuf, de la criminelle à Lyon, pour le délester d’une double-affaire aussi sérieuse ? » renâcle le vieux. Je lui signale que le troisième meurtre s’est déroulé en pleine capitale : l’affaire a pris une ampleur extra-lyonnaise depuis une heure.

« Certes, mais la victime reste "originaire" de Lyon, il me faudrait une autre raison pour vous charger, vous, et pas Deboeuf, des investigations nécessaires. » Je le renvoie à ma bibliographie : ce n’est pas une seule bonne raison de me laisser l’affaire que je lui présente, mais près de 150 enquêtes menées à bien, la grande majorité ayant été diligentée par lui-même. Je dois avoir l’air déterminé, car le vieux accepte sans trop rechigner. Je l’imagine en train de caresser son crâne-mannequin-pour-arrière-de-slip (en peau de fesse véritable) quand il me dit : « Et bien soit, San-Antonio, je vous assermente. Allez ! »

Le dernier coup de turlu est pour Maman. Je lui signale que je file sur Lyon pour quelques jours. Je la rassure : je vais être prudent, je ne prendrai pas froid et je reviendrai intact et vite. Comme elle insiste, j’accepte qu’elle m’envoie une valise avec quelques vêtements propres et mes affaires de toilettes. Nous convenons d’un hôtel où j’irai chercher tout ça, et où elle me réservera un chambre (car je ne vais tout de même pas dormir dehors : faut pas chambrer !).

Je récupère mon arme de service, un python acquis récemment et beau comme tout, et m’adresse a Eloi, qui m’a silencieusement observé pendant que je prenais les choses en main.
- Prêt, gone ? La gare de Lyon va mériter son nom d’ici peu : on retourne chez toi ! Attrape ce papelard qui sort du fax et arrive.

En se levant, Eloi déclare, visiblement impressionné :
- Si je rencontrais des types de ta trempe à chaque fois que j’arrivais à la bourre à un rencard, je crois bien que je jetterai illico ma tocante aux gogues et renoncerai pour de bon à la ponctualité !

Et il n’a encore rien vu !
*
*abc*

Tu veux savoir en quoi l’écriture est encore bien supérieure à la technologie ? M’en vais te l’apprendre de ce pas, Nicolas ! Tu ne pourras plus dire que San-Antonio n’est pas un vecteur de connaissance, après ça. Pardi ! Tu as dans les mains un book formidablement plein de culture et d’informations. Attention tes doigts : ça dégouline, tellement y en a !

Je t’explique donc en quoi mes écrits surpassent les travaux de la Nasa. C’est tout simple : moi, en un paragraphe, je passe direct de mon bureau de la maison poupoule au TGV de 15h, filant à Lyon à plus de 200 km/h. Ça me prend 10 secondes à écrire, ça t’en prend à peine plus pour le lire, et ceci, sans combi, sans harnais de sécurité, sans trucage et sans filet ! Effets secondaires ? Pas davantage. Aucun vomi, pas de vertige, niet ! Si c’est pas de la téléportation express, ça !

C’est marrant, une nympho de ma connaissance à cru un temps que TGV voulait dire « Très Gros Vibromasseur ». Ce qui a fait naître en elle un fabuleux désir, tu penses. Pour une belle désillusion, ça a été une belle désillusion ! A l’instant même, je ne me plains pas de la signification réelle du sigle. J’ai hâte d’arriver à Lyon, de me frotter à peu à cette affaire… Je demande à Eloi de me filer le fax de Mathias. Le gone regarde au passage s’il s’agit bien des gonzes qu’il avait repérés.
- Cherche pas, môme, le rassuré-je. Avec une description signée Bibi et une recherche estampillée du rouquemoute, pas d’erreur possible !

Il opine et me file le faf. Deux bobines y apparaissent, ainsi que deux noms : ENKULA Jacek et DURÊVE Yvan. Et là, je dois avouer une certaine déception : il s’agit de deux toutes petites frappes. Hé ! Quoi ! Dans un ouvrage comme celui-ci, enrichi en potassium, en oligo-élément, en vitamine A, C, Q, F, S (cul et fesses), en uranium, en action, en suce-pense, et tout le reste (dans la limite des normes), des mauvais gredins auraient leur place ?

Pourtant, ce sont bien eux. Yvan Durêve est peut-être le plus intéressant... il a été condamné à quelques mois de taule l’année passée pour avoir travaillé pour la Secte « Ô, Plasme ! ». Il recrutait des gogos en leur promettant une réincarnation en oursin albinos après leur mort. L’écriture manuscrite de l’enflammé précise que « Yvan Durêve est tout sauf un illuminé : il n’a accepté ce boulot que contre une part substantielle de l’argent extorquée aux victimes de la secte. Il a tout balancé pour alléger sa peine. ». Ça me confirme son rôle de mecton « à tchatche », censé repérer le contact disparu en blablatant avec les « candidats ».

Enkula est un Polonais connu pour avoir dessoudé quatre mecs dans son pays. « Tous à l’arme de poing » ajoute ce cher rouquemouthias. Un vice (cruciforme, sans doute) de forme dans son jugement lui a permis de ne rester qu’une paire d’années au gnouf au lieu de la ribambelle prévue initialement.

Alors quoi ? Un escroc minable et un cow-boy polak ? Au centre de mon affaire ? Voilà qui ne colle pas, comme dirait mon pote Robert Uhu. Et déjà : comment un manche comme Enkula aurait-il pu procéder à un dézingage en mode corde et un autre en mode surin ? Le gars est un maniaque du calibre. Ce serait alors l'oeuvre de Durêve ? Le gars semble pourtant préférer garder les mains propres. Non, ya pas ! Il y a un point noir comme ton fion dans cette affaire ! Les trois meurtres semblent rester étrangers les uns zozotres.
- Un souci ? me demande le jeune d’entre Rhône-et-Saône (je connais un alcoolique qui vient d’entre Roule et Saoule).
- Tout dépend ! dis-je en prenant la peine d’y mettre un point d’exclamation. Si le fait de rajouter au moins un troisième pied nickelé à la bande des méchants est à même de te réjouir, alors tu peux être extatique.
- Caisse à dire ?
- Sept à dire que j’ai la conviction que ces deux guignols, sur ce fax, n’ont pas pu aligner Pierre Charles et Cécile Baptiste.
- Nous voilà bien ! juge Eloi (ça m’fait pas peur : c’est mon fils, ma bataille). Qui l’aurait fait alors ?
- Ça me parait évident : quelqu’un d’autre !

Réponse provisoire, j’en suis sûr. Mais mine de rien, le doute m’assaille à nouveau. J’en reviens un peu à me demander si vraiment tout est lié dans cette affaire… car enfin merde, quoi ! Après cinq chapitres, je n’ai toujours aucun fil conducteur ! Cette aventure va faire baisser ma moyenne, tu vas voir !

[1] Cette allitération en "zz, jzzz, jzz" évoque parfaitement le caractère pressé, fusant, furtif de l’action. Bravo San-Antonio ! signé Racine

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