mercredi 17 février 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 8

Plein de mystères valent plus qu’une seule Miss France

- Oui Patron ? demande Mathias, car c’est bien de lui dont il s’agit, qui voudrais-tu que ce soit !
- Quoi de neuf à la morgue, Rouillé ?
- L’expression me parait mal choisie ! remarque le Rouque. Enfin quoi qu’il en soit, j’ai inspecté les deux morts comme vous l’aviez demandé. Du travail de pro ! Et ça m’étonnerait bien que le polonais dont je vous ai faxé le casier y soit pour quelque chose. C’est bien trop fignolé pour un maniaque de la gâchette comme lui.
- D’autres remarques ? je lui demande, bien qu’il ne s’appelle pas Erich Maria.
- Oui, deux. D'une, j’ai remarqué de petites traces de brulure sur les mimines de Pierre Charles. Ça ressemble vaguement à un début d’« interrogatoire forcé » qui n’aurait pas été poussé bien loin, alors que dans le sang de la demoiselle, j’ai relevé des traces de sédatifs. De deux, le surineur est droitier, j’en suis sûr, alors qu’il semble bien que l’encordeur, lui, soit gaucher. Je conclus que les meurtriers sont à distinguer, la méthode étant bien différente à chaque fois -mégots puis corde, sédatif puis lame.

C'est un indice qui en vaut dix !
- Super boulot, Mathias. Je te confie une nouvelle tâche : file à l’Isara et inspecte, non pas les trois cadavres qui s’y trouvent, mais les vestiges du moteur à explosions de la salle de physique. Rencarde-moi sur le type de bombe avec lequel on l’a piégé, tu veux ?
- Ce sera fait.
- Ah ! Et j'oubliais : je te laisse ici quelques papelards : je voudrais que tu me compares plusieurs écritures.
- Banco, Patron, j’arrive.

Ce cher Mathias ! Des types comme lui, tu leur files une goutte de pisse et ils te trouvent un crime, son auteur, sa victime, son mobile, son alibi et les 12 manières l’amener à avouer ! Coup de Grelot suivant…

- Allo ? interroge, comme bien d’autres en ces circonstances, l’organe du négro spirituel.
- C’est ta carrière qui va y finir, à l’eau, si tu ne me dis pas immédiatement comment les choses ont avancé à Paname !
- Sana ?
- Lui-même. Et impatient de t’entendre, bronzé. T’étais pas censé me tenir au jus ?
- J’allais justement te juter !
- Me mettre au parfum ?
- J’allais justement te parfumer !
- Me tenir au courant ?
- J’allais justement t’électrocuter !
- M’affranchir ?
- Pas la peine, tu es déjà timbré !
- Trêve de calembours douteux, Noirpiot. Au rapport ! Tu ne vas quand même pas oser m’affirmer que rien n’a évolué de ton côté ?
- Non, non, y a du neuf.
- Alors annonce !
- Comme je te l’ai dit tout à l’heure, nous avons très vite retrouvé la trace de tes deux suspects. La présence d’Enkula en France était connue, et nous avons, dans les fichiers de la Rousse, l’adresse d’une de ses planques. Une équipe s’y est rendue sans trop d’espoir, mais contre toute attente, ce branque était encore là. Après un épisode version courte de Fort Alamo, il s’est rendu.
- Bon, ça ! Et Yvan Durêve ?
- Le barbu est plus malin : il a été repéré par hasard par une patrouille qui l’a pris en filature en attendant du renfort. Il a sans doute grillé la manœuvre : il s’est dirigé vers Chatelet-Les Halles, la station de métro/RER la plus inchiable de Paname, où il s’est volatilisé. Les roussins qui l’avaient pris en chasse n’ont pas deviné tout de suite qu’ils avaient été gaulés : ils ont fait arrêter le trafic ferroviaire et fait bloquer toutes les issues le plus discrètement possible. Mais Durêve avait sans doute mis les bouts depuis longtemps.

Dans ma salle de classe de l’Isara, je sors mon calepin magique où je griffonne rapido un schéma, tout en interrogeant :
- A quelle heure Durêve a-t-il été vu pour la dernière fois avec certitude ?
- Disons un peu avant 16 heures.
- Ok. Je dirai même plus, Négus : bilb’ok, j’ok, r’ok, kara’ok ! Tu t’es chargé d’interroger le Polak ?
- C’est en cours ! affirme le tout noir. J’ai fait rapatrier Enkula jusqu’à chez moi. Ramadé, malgré son état de fatigue, a concocté un cocktail sénégalais qu’on appelle chez nous l’Avoutou’oujpett. Un truc très odorant qui vaut les meilleurs sérums de vérité occidentaux. Capote Trouée l’interroge actuellement dans la salle de bain.

Capote Trouée est l’un des marmots de Jérémie. Je sais qu’un esprit obtus comme le tien conçoit mal qu’un commissaire de police laisse le fils d’un de ses subordonnés interroger un suspect au moyen d’un cocktail pas très net. Mais j’ai toute confiance : Capote Trouée est un débrouillard, et les tambouilles et manipulations sénégalaise des Blanc m’ont suffisamment de fois tiré de la mouscaille pour que je m’en défie.
- Ah, annonce Jéjé, le voici justement avec le rapport, tu veux l’entendre ?
- Capote Trouée a rédigé un rapport ? interrogeavecétonnement-je.
- Ce petit con s’est mis en tête de rentrer dans la volaille ! lâche le painted-in-black avec agacement. Je lui ai répété cent fois qu’on ne rencontre personne de fréquentable dans ce milieu, mais cette tête de bois ne veut rien entendre.
- Fais péter le rapport, quoi qu’il en soit !

Au bout du fil, j’entends Monsieur Blanc se saisir d’une feuille de papier. Un court silence s’ensuit, pendant lequel j’imagine l’ami Ricoré survoler la prose de son fiston. Je lui rappelle que j’attends :
- Alors ?
- Alors j’ai peur que tu n’ailles pas bien loin avec ça.
- Le Polak ne sait rien ?
- Non. Il avoue le meurtre, mais il affirme n’avoir eu de contact avec personne d’autre que Durêve. On lui a promis 9 250 euros pour refroidir un gazier qu’il ne connaissait ni des lèvres ni des dents… Je te signale que dans « deux cent cinquante », « cent » ne prend pas de « s ».
- Et dans « amour violent » il n’y a pas de tendre « s », et alors ? m’étonné-je.
-‘scuse-moi Antoine je parlais à Capote Trouée.
- Plus tard, la leçon, je ronchonne. Quoi d’autre, dans ce rapport ?

Bruits de paperasse qu’on brasse, puis nouvelle réplique de mon Sénégalais favori :
- C’est Durêve qui est venu le chercher chez lui aujourd’hui, il l’a emmené dans une station de métro, lui a désigné un jeune type, et lui a défouraillé. Ils sont repassés à Duroc un peu plus tard pour vérifier que la cible était bien toujours par terre. Alors un flic leur a collé au cul –je te signale que ce genre d’expression n’est pas à placer dans un rapport de police !
- Abrège ! Tu auras tout le temps d’apprendre à ton fils comment rédiger un rapport de premier ordre ! Des bombes explosent, ici, et j’ai besoin d’infos.
- Bon, bon. Ils ont décidé de buter le flic : il y a eu un cache-cache express dans le métro, mais le flic leur a échappé – c’est toi, non, d’ailleurs, ce poulaga ? Finalement Durêve lui a filé ses pourliches avant de se barrer.
- Sans dire à Enkula de jouer cassos de Paname en quatrième vitesse ?
- Hé non ! confirme Jéjé. C’est le Polak qui a pris seul l’initiative de décamper. Il préparait ses bagages quand la volaille a donné l’assaut.

Je réfléchis un instant.
- Tu veux mon avis, all black ? Un amateur payé 9 250 €, qu’on ne prend même pas la peine d’escamper en partant, ne doit pas représenter une grosse menace pour ses employeurs. Il sait ballepeau, et me voilà de nouveau face-à-fesse avec une impasse !
- Enkula affirme néanmoins qu’il ignore tout des meurtres de Cécile Baptiste et Pierre Charles, et surtout qu’il avait promis d’inventer une histoire bidon de règlement de compte au cas où la police le coincerait. Cela dans le but, j’imagine, de dédouaner le barbu, Durêve.
- S’il ne l’a pas fait, ça prouve que la mixture de Ramadé est efficace !
- Oui, mais ça prouve surtout que… mais ? Capote, viens par ici ! Qu’est-ce que c’est que cette série de chiffres, en bas du rapport ? Regarde-moi dans les yeux ? Je t’ai pourtant interdit de te servir de l’Avoutou’oujpett pour obtenir des numéros de carte de crédit ! En plus, tu manques de jugeotte : quitte à braquer un malfrat, autant pigeonner un qui est plein aux as. Celui-ci se fait payer une misère, et en liquide ! Si tu veux de la monnaie, prend un ou deux bifton dans ses poches et bidonne les chiffres du rapport. Comment ça c’est déjà fait ? T’entends ça Antoine ? C’est chié, non ?

Je raccroche.

Il y a un certain nombre de choses que je n’aime pas, dans la vie. Par exemple, écouter un politicard, tiens. Ça, c’est chiant, pas vrai ? Je parie un pot-à-eau contre un pot de vin que toi aussi, ça t’endort, mais que tu fais semblant d’en regarder un de temps en temps afin de passer pour un intellectuel, et une fois que ta femme est partie se coucher, tu zappes sur le foot ? Et bien moi je ne regarde jamais, c’est bien trop barbant, mais également assez rasoir (paradoxe amusant !). Pourtant, je serai prêt à subir l’intégrale des discours de Balladur (quel tonus, cet Edouard), là, maintenant, si seulement ça pouvait rendre mon enquête un peu plus lisible. Je jette un coup d’œil au schéma dont je te parlais il y a peu. Il prend la forme d’une ligne chronologique approximative de ce type.

dans la matinée : Durêve contacte Fabien Henry

13h pétante : meurtre à Duroc par Enkula

13h30 ou un peu après : je suis sur place

15h : je prends le TGV


16h environ : Durêve disparait à Chatelet

17h : j’arrive à Lyon
17h30 : je perds du temps chez Deboeuf

18h environ : Jeannot Reliure installe la bombe
18h30 bien tassé : j’arrive à l’Isara
19h : explosion

(C’est rudement pratique, les stylos à quatre couleurs, tu n’es pas d’accord ?)

Ce que je tire actuellement, cher ami lecteur, ce n’est pas miss France. Heureusement, d’ailleurs ! Les Miss, toi, tu crois bêtement que ça sert à élire la plus chouette fille de France. D’entrée, le principe est bidon comme mon pote Jerry Can, entre parenthèses ! Ce qui est beau chez les gerces, c’est leur diversité. Un coup à brouter des poils blondinets, un coup à contempler une peau bronzée ! Un coup à profiter la maniabilité d’une toute petite, un coup à savourer les caresses d’une grande ! Mais là, nib ! Le jour de Miss France, tu vois 100 fois la même fille ! Même taille, mêmes mensurations, même sale gueule. Tu parles d’un éventail décevant (dès ce vent) ! A ce compte là, pas la peine d’aller en chercher une dans le Doubs et une en Haute-Marne. Et puis, franchement : tu les trouves pas moches, toi, ces poupées maquillées à la truelle, peu mais mal fringuées, crispées des zygomatiques ? Tu ne trouves pas ça tarte, cette dégaine qu’on leur donne ? Tu les trouves pas cons comme leur con, ces boudins, par-dessus le marché ? Une de mes amies, pourtant moche comme un pou, a été de refusée au concours des Miss. Motif ? QI trop élevé ! Alors non merci, très peu pour moi. Des michetons, j’en ai eu un peu plus que ma part : aucune ne ressemblait à Miss France, et je t’affirme que ce n’est pas dommage.

Bon. Je disais que je ne tire pas Miss France actuellement, car je tire plutôt les enseignements de ce schéma. Et voici ce que je déduis : même en coupant au plus court, Yvan Durêve n’a pas pu quitter Paris, interroger un nouveau contact (Gigonnade ? Pointe ? Belleride ?) et donner le feu vert à Jeannot Reliure pour le moteur à explosion une fois l’entretien terminé. Quelqu’un d’autre l’a-t-il fait à sa place ? De la même bande ? L’initiative de Reliure est-elle liée au reste ?

Oui, je le pense. Reliure a maquillé son geste en le justifiant par la rancœur, mais s’il a tout fait péter, c’est qu’il avait l’assurance d’une retraite sûre. Sa vie d’assistant-labo ne comprenait certainement aucune échappatoire fiable : quelqu’un est venu lui proposer cette échappatoire… c’est la perspective d’une nouvelle vie qui a convaincu Jeannot. De la même manière que quelques 10 000 € ont convaincu Enkula Jacek de ressortir l’artillerie.

J’ai à faire à une bande pas forcément très vaste, mais qui sous-traite. Mathias affirme que les deux premiers assassins sont à distinguer : pas la même spécialité, pas le même mode de fonctionnement. Celui qui a pendu Pierre Charles et celui qui a suriné Cécile Baptiste sont probablement deux malfrats de bas étage qui ne savent rien, tout comme Enkula. Pour stopper la tuerie, je dois oublier ces truands collatéraux et m’attaquer à la direction du gang. De ce gang, je ne connais qu’une tête : Durêve. Mais où est-il, celui-là ?

Ma parole, j’ai passé ce bouquin au pèse-mystère : c’est du lourd !

2 commentaires:

  1. Faut-il concluer ou conclure un chapître ? J'avoue, fiston, douter un peu. Utiliser une tournure pour introduire un infinitif plutôt qu'un présent suspectif eût été finaud et digne de SAN A.
    Signé Irma FRODITE, de BRON

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  2. Je reprends la lecture après une interruption momentanée de quelques semaines. Dur dur, l'intrigue en est au chapitre 18 ; pour ma part, je suis obligée de retourner au chapitre 8 pour me remémorer les dernières péripéties et les exploits de début de roman de SAN A.
    A toute à l'hure ?
    Mam's

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