lundi 15 février 2010

San-Antonio à l'Isara : chapitre 7

Je me rends compte que je n'ai pas mis de C majuscule à "chapitre", comme je le fais normalement. Mais je me suis dit que si je ne le disais pas , personne ne le remarquerait.

Où l’on pourrait confondre « physique cantique » et « marche funèbre »

Prendre trop de liberté, c’est en priver les autres. En m’autorisant des allers-retours dans la chronologie, je t’enfonce dans une perplexité qui te perd, te plexe, et te ité, me trompe-je ? Il est donc nécessaire de faire un point : •

Mouais. Bon, non. Cette petite fantaisie rédactionnelle ayant bien du mal à m’amuser moi-même, je vais rapidement passer outre pour te faire un topo de la situation actuelle : je suis à l’Isara, du moins dans la partie du bâtiment qui n’a pas été soufflée par l’explosion qui achevait le chapitre 6, si tu te rappelles bien.

Cette explosion, tu vas le découvrir, n’a pas achevé qu’un chapitre ! Mais pour l’heure, contente toi de me contempler en train de me lever soudainement dans le but de me précipiter vers la porte de la salle d’étude où nous taffions, Eloi et myself.
- Reste ici, gone, intimed’untonsansréplique-je.
- C’est ça, réplique pourtant Eloi, pour roussir gentiment avec le reste du bâtiment ?
- Pile-poil, gars !
- T’es louf ! s’exclame le gone.
- Réfléchis, gamin : un gars a probablement provoqué cette explosion, t’es d’accord ? Et ce gars, je le connais bien pour une raison simple : c’est moi qui écris ce bouquin (un bouquin qui fait péter le suspensomètre, avoue-le !), et donc moi qui invente ses personnages. J’ai bien peur que notre manipulateur d’explosif n’ait aucun projet positifs pour nous deux. Moi, mes lecteurs le savent : je suis rôdé, j’ai une assurance béton. Toi, pour le danger, tu n’es pas couvert tout-risque ! Donc, par sécu, tu resteras ici pendant que je me précipite sur les lieux du sinistre (que j’imagine sinistre) !

Pour avoir l’air ferme, je te donne un conseil : munis-toi d’un tracteur, d’une vache, d’un cochon et d’une parcelle de maïs. Moi, à part mon côté volaille, je n’ai rien de tout ça sous la main, je me contente donc d’un claquement de porte tonique pour convaincre le gamin de rester là où il est. L’auteur de l’attentat, s’il ne s’est pas déjà esbigné, doit avoir mis la fuite (de gaz probablement, vu le souffle provoqué !) en tête de ses priorités, je ne conçois pas qu’il prenne le temps d’ouvrir toutes les portes du bâtiment. Le môme est donc en relative sécurité.

Je file vers le premier escalier venu qui ne tarde pas à être un escalier parti. Je suis à l’étage de l’explosion, et des dizaines d’étudiants courent un peu partout et dans tous les sens, cherchant à fuir. Je fends cette bordélique foule avec énergie et me fraye un passage jusqu’au laboratoire de physique. Je ne t’ai pas dit que l’explosion s’était produite dans le laboratoire de physique ? Sans doute parce que je le découvre tout juste : c’est écrit sur la porte éventrée que je viens de franchir.

Le premier bilan s’avère plutôt négatif ! Une bouillie informe est répandue sur l’estrade de la salle… Je pose plusieurs hypothèses, si tu le permets ? Merci, tu es bien aimable. Hypothèse 1 : cette bouillie, avant l’explosion, devait avoir deux bras, deux jambes, une tête. Hypothèse 2 : assemblés, ces divers éléments constituaient un professeur. Hypothèse 3 : je n’apprendrai rien dans l’immédiat si je n’oriente pas mes investigations dans une autre direction.

Dans la salle, restent trois individus à forme encore humaine, au premier rang. Trois mecs ! Sûrement des gars arrivés en retard : tu le sais comme moi, les garçons se placent toujours au fond quand ils le peuvent : de là, les dargeots sont plus facile à mater et les mots-croisés plus faciles à remplir. Le premier étudiant est cloué à sa chaise par une bizarre pièce de métal qui lui transperce le bide.

- Comment tu t’appelles, toi ? lui demandé-je, car tu vois, je ne perds pas mon enquête de vue ! et enfin quoi ? le type va claquer sous peu, je vais quand même pas lui demander « comment ça va » ! Ce serait une question par trop rhétorique !
- Benjamin Pointe, glaviote-t-il en même temps qu’un filet de bave plus rouge qu'un steak à la sauce Staline.
- C’est le prof qui a dégusté, là-bas, sur l’estrade ?
- Affirmatif, suffoque le pauvre Pointe. Il a entamé sa démonstration sur le moteur à explosions et ça s’est mal passé. Il foire toutes ses manip’, ce con !
- Son blaze ?
- Jean-Noël Gigonnade. Dites, vous savez si une ambulance est en route ? Me concernant, ce serait pas du luxe…

Ce que tu ne sais pas sur Benjamin Pointe, ô lecteur, c’est que le premier mot qu’il a baragouiné étant bambin, ce n’était ni « maman », ni « papa », ni même « popo », mais « luxe ». L’originalité est d’autant plus grande que c’est également le dernier mot qu’il aura prononcé : Pointe vient de défunter à l’instant.

Je continue ma besogne auprès du second jeunot. Il a une pièce de métal identique à celle de Pointe à travers le sternum. Je devine à présent qu’il s’agit d’un piston du moteur à explosions.
- Oh, gars, quel est ton blaze ?
- Fleurk glorg ! crachote-il.
- Pardon ?
- Florent.
- Florent comment ?
- Belleride.

Tu me trouves un peu limite, non, de sonder ces agonisants sur leur patronyme. Mais je te le répète : faut parfois être pragmatique. Ce qui fait de moi un enquêteur hors-pair, c’est ma capacité à hiérarchiser les urgences, vois-tu ? Ces jeunes gars sont en train de mourir de toute façon, et ce n’est pas en leur fredonnant une berceuse que je les sauverai ou que j’avancerai dans ma gamberge !

Et en l’occurrence, je turbine à pleine caboche : cette explosion, j’en suis sûr, n’est pas une erreur de manip’ du professeur Gigonnade. Quelqu’un continue à faire du nettoyage dans l’effectif de l’Isara… Et je ne peux m’empêcher de penser à la concordance des doubles prénoms (même si je subodore que c’est une piste bancale), c'est plus fort que moi ! Et donc par extension plus fort que bien des gens ! Cette fois-ci, pourtant, ça ne colle pas. A moins que…

Je regarde le troisième étudiant demeuré en place après l’explosion. Qu’est-ce que tu en penses ? Ce serait peut-être bien d’aller au bout de la logique et de lui demander, à lui-aussi, quelques tuyaux sur son état civil, mmh ? Je jette un dernier regard sur Florent Belleride : il vient de caner, à son tour, un air de grande surprise définitivement imprimé sur son visage figé pour toujours
[1]. Il se savait mal en point, mais il ne pensait pas lâcher la rampe si vite, apparemment. Il s’est fait surprendre par la faucheuse, si bien qu’il ne saura jamais qu’il est décédé. Être mort, c’est comme être cocu, quelque part : tout le monde en est informé avant vous !

J’interroge (et rencontre) ce troisième type.
- Et toi, mec ? On t’appelle ?
- Dites, vous charriez ! il rouscaille. Vous croyez que c’est la bonne question ? Y a eu mort d’hommes, ici ! Vos interrogatoires sont déplacés, mon vieux.

Allons bon !
- Va pas falloir garder ce ton, je réplique. Je te signale que c’est moi qui écris ce book. Or, je te signale que j’ai pas encore rencardé mes lecteurs sur ta blessure. Si tu ne réponds pas, je te réserve le même sort qu’à Pointe et Belleride, vu ? Si t’es plus docile, tu resteras vivant.
- Et je pourrai me taper la plus chouette des nanas de ma promotion avant la fin de l’histoire ?

Lui, alors ! Bon, c’est pas vraiment le moment de pinailler.
- Accordé, conclus-je.
- Dans ces conditions…
- Maintenant accouche, syndicaliste en herbe : tu t’appelles comment ?

In petto, je me dis que si son nom devait être un prénom, alors Bernard Thibaut lui irait bien !
- Jean-jean.
- C’est quoi, Jean-Jean ? Nom ? Prénom ? L’un et l’autre ?
- C’est mon prénom ! Je m’appelle Jean-Jean Debazz.

Bon ! Aucun double prénom dans les victimes ou potentielles victimes de cet attentat ! Je ne sais pas si je dois bicher ou pas en apprenant ça. Ça élimine une piste, certes, mais une piste à laquelle je ne croyais pas à 100%, ni à Saint-Pourçain (Allier), d’ailleurs.
- Hé, lance Jean-jean. Puisque je serai sauvé, vous pourriez me dire pourquoi je me suis pas barré avec mes camarades ? A choisir, je ne serais pas resté ici, moi !
- Parce que tu es blessé au pied, nigaud ! Un vil vilebrequin t’as brisé plusieurs métatarses.
- Ah oui, tiens ! Zut ! Avec un plâtre, ça va pas être facile de sauter la plus chouette nana de ma promo !
- T’emballe pas, Debazz, j’ai d’autres questions, d’abord : d’où vient le moteur à explosions qui a servi pour la démonstration ?
- De l’ancienne BX du professeur Gigonnade. Il s’en sert chaque année pour les cours de thermodynamique.
- Ce moteur, où est-il remisé, normalement ? Qui l’a amené ici ? Et quand ?
- Il doit passer l’année dans le bureau de l’assistant de Gigonnade : Jeannot Reliure. C’est lui qui prépare le matos pour les manipulations. Il a du l’emmener ici juste avant le cours, vers les 18 heures, je suppose.

Ma montre n’est pas rancunière, tu sais : alors que je le lui donne jamais rien, elle n’a jamais rechigné à me donner l’heure ! Il est 19h02. Je regrette amèrement d’avoir perdu du temps à la criminelle en arrivant à Lyon. J’aurais du venir ici, direct ! Bon, ça n’aurait peut-être rien empêché, mais il est toujours valorisant de se dire que l’on aurait pu changer les choses par sa simple présence, tu ne crois pas ? J’interviewe Jean-Jean de plus belle :
- On le trouve où, ce Jeannot ?
- Son bureau donne sur la porte, là-bas au fond de la salle.
- Merci. Je tiens ma parole : tu sortiras vivant de ce merdier.
- Hé, n’oubliez pas l’autre promesse, hein !
- Ballepeau ! je ricane. Je dois déjà me consacrer à une enquête ardue, j’ai pas le temps de verser dans le bouquin type « fesse » pour post-adolescent excité.
- Vous êtes chié !
- Reste poli, Jean-Jean : je pourrai bien décider qu’une gangrène te tombe sur le panard !

Pas téméraire, le jeunot la boucle pendant que je me dirige vers le bureau de Jeannot Reliure. C’est en fait un cagibi minuscule et sans fenêtre, surencombré de manomètres, ampèremètres, voltmètre, kilomètres, contremètres, poussetoidelaquejemymètres et autres ustensiles de mesures physiques. Jeannot n’y est pas. Dans un coin de la pièce, un bureau minable large comme une feuille de papier-cul est coincé. J’y distingue un papelard laissée là en évidence, que je subtilise et je lis :

Bande de cons !

Ça surprend, avoue ! Tu t’attendais à ça, peut-être ? Non, hein ! Oublie vite les conventions, gars : t’es dans un San-Antonio, ici ! Je reprends :

Bande de cons,
Ah, vous m’avez bien pris pour une merde depuis le début. En me collant assistant de cet illuminé de Gigonnade (un job pour demeuré !), vous avez gâché mon potentiel de prix Nobel en puissance. Vengeance ! Je me barre, non sans avoir laissé un souvenir à Gigonnade. C’est une surprise. Vous ne me trouverez pas. Allez tous vous faire sodomiser !
Jeannot, qui vous emmerde.

Bon... Bon, bon, bon. J’ai pas l’impression d’avancer des masses, moi. Car enfin, zob ! Il n’y a toujours pas le moindre début de fil conducteur dans tout ce merdier ! La lettre de Jeannot constitue certes un mobile clair pour l’explosion du jour… mais elle ne justifie aucun des trois premiers meurtres.

Je garde la bafouille de Jeannot, me saisis d’autres papelards sur son burlingue ainsi que des deux ou trois photos punaisées au mur (on y voit à chaque fois un gonze moche avec une morue : sûrement Jeannot et sa dame, ça pourrait servir) et je décarre vite fait. Avant de rejoindre Eloi, je me trouve une petite salle de classe peinarde afin de tuber Mathias, pour lui enjoindre de rappliquer dard-dard, car je sais ne pas pouvoir compter sur les labos lyonnais de Deboeuf. Je veux également appeller Monsieur Blanc, qui suit pour moi l’actualité parisienne de cette affaire. Car enfin, les seules certitudes que j’ai, pour le moment, c’est que deux zigotos ont dessoudé Fabien Henry –dis N’a-qu’une-fesse– à Paris ce midi. Et ces zigotos étaient sur le point d’être capturés il y a maintenant deux plombes.

[1]
Cette phrase est un stéréotype littéraire comme il faut en inclure obligatoirement dans un roman, parait-il. En ce qui me concerne, je trouve ça moche, chiant, raté, merdique.

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