vendredi 19 février 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 9

Sous-terrain ≠ entre tes reins

- Alors je l’ai bien profond avec ma lubie des patronymes prénonymiques[1] ? demande Eloi au volant de sa twingo.
- Navré, r’éponge. Ça m’en a tout l’air. A moins que cette affaire soit encore plus compliquée qu’elle en a l’air, et que l’explosion de ce soir n’ait rien à voir avec le reste.

Le gone a l’air dubitatif. Il me demande, non pas en mariage, mais en substance :
- T’y crois, toi ? Une simple vengeance d’aide-labo frustré ?
- Honnêtement, non.
- Remarque, cette fois-ci y a eu trois victimes, plus un blessé, tente Eloi… une explosion c’est moins précis qu’un coup de ya sous la gorge. Peut-être qu’il y a eu maldonne ? Y avait pas un Xavier Bertand, un Thierry Henry, dans la salle ?
- Et non ! D'ailleurs, c’est justement le caractère aléatoire d’une explosion qui me laisse à penser que c’est bien Gigonnade qui était visé. Impossible de prévoir qui s’assied au premier rang avant le début d’un cours, pas vrai ? La seule certitude de Reliure, c’était que Gigonnade ferait fonctionner le moteur à explosions.
- Admettons. Alors je vais jeter ma belle liste de prénoms-doubles dans les prochaines gogues que j’aurais l’occasion de retapisser. Et en attendant ?
- En attendant, on travaille sur le peu d’indices qu’on a. Sur mon injonction express, Mathias doit être en train de se précipiter à l’Isara à l’heure actuelle. Je veux en savoir plus sur cette explosion et sur Jeannot Reliure. Je veux savoir si c’est lui qui a écrit la lettre dont je t’ai parlée.
- Et nous ? Qu’est-ce qu’on va foutre à Chiasseux ?

La question est posée à l’instant même où nous entrons dans cette petite ville de la banlieue Lyonnaise.
- On va chez Reliure.
- Ah ? s’étonne Eloi. Je croyais qu’on s’en tapait, de lui et des exécutants des meurtres ? On se concentre pas sur les commanditaires ?
- Si fait ! Mais Durêve est dans la nature, impossible de le cuisiner… nous savons d'ailleurs qu’il n’a pas pu commander l’explosion de Gigonnade. Reliure a donc eu affaire à quelqu’un d’autre ! Essayons de retrouver ce brave aide-labo.
- Et tu crois qu’il sera resté chez lui à nous attendre, peut-être ?
- J’ai donné son signalement aux matuches qui ont rappliqué à l’Isara après le teuf-teuf du labo de physique, mais en attendant que ça morde –si ça mord– nous n’avons aucune autre piste. Et puis, se faire capter chez lui au moment de fuir, Enkula l’a bien fait. Nous avons à faire à de petites frappes, gars, pas des grands pros. Reliure pourrait très bien croire que sa lettre ne sera trouvée qu'un peu plus tard. Comment pourrait-il deviner qu’il y avait un flic génial sur place au moment de l'explosion ? Tiens, arrête-toi là, il y a un plan de Chiasseux sur cet abris-bus.

A l’aide du plan et de l’adresse inscrite sur le courrier que j’ai prélevé sur le bureau de Reliure, nous retrouvons ce qui doit être la résidence de monsieur Jeannot Reliure (honnêtement, avec un nom pareil, c’est peut-être mieux qu’il n’ait pas été prix nobel). Une bicoque minuscule dans un jardin en friche qui ferait gerber Indiana Jones en personne. J’ouvre le portail en encourageant le jeunot à me suivre. Etonnant : il arrive à être sur mes talons sans me marcher sur les nougats !
- Hardi, gone !
- Encore heureux que je ne m’appelle pas Françoise ! spirituelise-t-il.

Autant te dire que je laisse le bas de mon fute dans les ronciers qui jalonne l’allée menant au pavillon. Mon ami le sésame joue à « ouvre-toi » avec la lourde, et nous entrons par une cuisine cradingue. Ça ressemble beaucoup au bureau de Reliure, ici : c’est foutraque à souhait. On y retrouve des câbles, des rouages, des appareils inchiables, chaque tiroir et chaque placard dégobille des tas de trucs en ferraille ou en toc.

- Reliure, c’était un autiste, dans son genre, commente Eloi. Jamais sorti de son placard, sauf pour ranger et déranger le matos pour les cours de Gigonnade. Bien le genre à n’avoir jamais touché une fouffe. Ce bordel chez lui, ça confirme.
- Et pourtant ! objecté-je. Mate ces photos que j’ai prise dons son burlingue, à l’Isara : y a constamment une mocheté à son côté.
- Sa sœur ? suggère Eloi en s’approchant pour reluquer.

Je regarde attentivement le cliché. La… comment dire ? Allez, disons la « femme » que Reliure tient par l’épaule a une belle moustache, et sa coiffure est la même sur la tête que sous les bras : touffue. Ce serait bien le genre de Béru, de par son calibre pachydermique. De son côté, Reliure est gaulé type crevette, imberbe. Je scrute les traits des deux personnages : non, pas d’air de famille.

- D’ailleurs, ajouté-je en entrant dans le salon (à moins qu’il ne s’agisse d’une décharge publique), regarde la photo sur la plage : il a la main dans le décolleté de la baleine. Pas très famille, comme pose.
- C’est sur la Côte, commente Eloi. Je crois me souvenir que Reliure est Niçois.
- Ô Niçois qui mal y pense ! ricané-je en désespérant toutefois de trouver quoi que ce soit dans ce foutoir.

A moins qu’on dise « ô Niçois qui malle y pense » ? J’aperçois justement une belle grande malle en osier étonnamment dégagée du chambard ambiant. Si elle est dégagée, c’est qu’on y a mis ou enlevé quelque chose récemment, non ? Et si ! Banco ! On y a mis, je vais te dire quoi, le cadavre de la grosse baleine des photos. Elle est mortibus, et en plus elle fouette un maximum, on dirait bien qu’elle a vomi son plat de spaghetti-choux-rouge-tripes de midi avant de clamser.

Un mort ne sait pas qu’il est mort : ce sont les autres qui s’en attristent ou s’en réjouissent. C’est pareil avec ceux qui puent, tout le monde le sent sauf eux (mais personne ne s’en réjouit). Dans le cas présent, j’ai la double penne (comme dirait une de mes amies porte-blindée) : je déplore une morte qui schlingue. Eloi n’a pas capté ma découverte, il est toujours dans la cuisine, sur une des photos piquées dans le bureau de Reliure.

- Marrant, dit Eloi, il y a exactement la même photo sur le frigo, mais les bibelots sur le mur ne sont pas placés pareil.
- Pardon ?
- Regarde celle-ci, insiste-t-il. Y a lui et sa bonne amie, devant la cheminée, sur les deux images. Mais derrière eux, au mur, y a tout un tas de trucs inutiles qui sont agencés différemment.

Je retapisse les deux clichés et constate qu’ils ont été pris dans le salon que je viens de quitter. En effet, une demi-douzaine d’objets orne le mur avec dégoût : une assiette par ci, une vierge Marie par là, tu mords ? Ce genre de trucs, placés sur des appliques murales. Ce qui est étonnant, c’est que les deux photos semblent avoir été prises au même moment. Se prendre en photo dans son salon, c’est tartignole. S’amuser à le faire deux fois le même jour en changeant l’arrière plan ne rime pas à grand-chose. Il doit y avoir un sens à ce micmac, comme dirait mon pote MacMick l’écossais.

- Suis moi au salon, gone, et munis-toi d’un pince nez, y a le cadavre de la grosse dans une malle.
- Tu dérailles ? s’écrit Eloi.
- Pas du tout, et heureusement : je déteste me foutre de la graisse sur les pognes. Arrive un peu !

Nous sommes dans le salon. Je sens qu’Eloi n’est pas très à l’aise avec le corps de médème à côté de lui, mais j’en ai classe. Les babioles, sur le mur, sont exactement dans le même ordre que sur l’une des photos. Une à une, je les change de place pour qu’elle forme le même motif que sur l’autre cliché, sans vraiment savoir à quoi ça rime (à part avec éméché, pêché et taché).

- De quoi est-elle morte ? demande Eloi, la voix mal assurée (il n’est pas encore passé à la Matmut).
- Poison, laconiqué-je en maniant les bibelots.
- Reliure, tu crois ? Ce soir, juste avant de se barrer sous les tropiques ?
- Pas possible ! La vomissure m’a l’air bien sèche. Cette lady est passée de vie à trépas plus tôt, ce matin peut-être.
- Ouais, bon, ça n’empêche que c’est sûrement Reliure qui a fait le ménage, non ? On devrait quand même appeler les roussins, tu crois pas ?
- Et moi, je suis quoi ? je lance en échangeant de place une figurine moche représentant une tortue avec une minuscule horloge.

Ayé, c’est fini ! J’ai l’air tarte. Sais-tu pourquoi ? Parce que rien ne se passe. Pourtant, tout est en ordre… « Clac ! ». Un déclic se fait entendre (disons plutôt un déclac). Soudainement, le fond de la cheminée se met à pivoter, ouvrant grand sur un boyau plongeant dans le sol et équipé d’une échelle.

- C’est du beau boulot, je commente. Les bibelots que j’ai trafiqués devaient faire le même poids à quelques grammes près. Placés aux bons endroits, ils créent un contact qui permet à la trappe de s’ouvrir, ou de se fermer. Et les photos servent d’antisèches… Tu me suis ?
- Bin oui, tant qu'à faire...

J’entame la descente en plongeant dans l'obscurité (à défaut de plonger dans le stupre, comme disait Brassens). En quelques échelons, je touche le sol. Il fait noir, ici, dis-donc. Je sors ma boite d’alloufs. Les allumettes, en les grattant, tu les allumes. La même recette n’a pas les mêmes effets sur une gerce, hélas ! La petite flamme me permet de trouver un interrupteur que j’enclenche. Nous sommes dans un joli sous-sol aménagé. C’est plus propre, plus confortable qu’en haut : tu trouves deux canapés, un frigo, une table à manger entourée de chaises, un tapis, et, au fond dans une alcôve, un lit double moelleux, aux draps roses, avec quelques accessoires types fouet et menottes.

- Hé bin ! s’exclame Eloi depuis le cinquième échelon. J’aurais jamais cru que ce type pâlichon qui préparait les TP de physique pouvait avoir une double vie ! Tu crois qu’il fait partie d’une organisation secrète ?
- Je ne pense pas. Reliure s’est construit un joli petit cocon pour forniquer tranquillement avec miss Bourrelet, rectifié-je. Un refuge pour oublier les cons qui le brident à l’Isara, pour avoir un aspect un peu secret dans sa petite vie de peigne-cul. Mais je ne pense pas que cette pièce secrète ait un quelconque rapport avec notre affaire.
- Tu as peut-être raison… un baisodrome sous-terrain, manière d’être assez excité pour grimper bobonne… hé ! Là !

Le gone montre quelque chose à mes pieds que je n’avais pas remarqué en descendant à cause de l’obscurité, et pas regardé une fois la lumière faite, car on regarde rarement ses pieds quand on découvre une pièce. Qu’est-ce que c’est ? Tu es trop perspicace ! Je renonce donc à te dire qu’il s’agit du corps de Jeannot Reliure. Sans vie, bien sûr. En revanche, je suis bien obligé de te dire qu’il a, comme sa bonne amie, une flaque de gerbe (bien plus fraîche, cependant) sur le thorax.

Toi, bête à manger du foin, ou pire ! du saucisson industriel, je te sais susceptible de te perdre en forêt. Moi, au niveau supérieur, je me perds en conjectures.

[1] Quel mot superbe ! Je regrette de ne pas l’avoir inventé moi-même. Le commissaire S-A crée des mots avec bravitude. Signé Ségolène Royale.

1 commentaire:

  1. Ben dis donc ! j'étais pas venu sur le site depuis le chapitre 3 ! y avait du retard à combler ! plus d'une heure de lecture... ça donne le temps de constater que c'est chiant de lire en remontant les pages et que pour les renvois en bas de page c'est pas top non plus...
    à part ça on se régale et on en redemande... (pas trop vite pour pouvoir suivre, mais assez pour ne pas oublier)
    La Sanaphile de service

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