vendredi 12 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 15

Où l’on découvre qu’utiliser un fax à l’ère e-mail peut vous donner l’air e-diot

Tu te rappelles certainement de la fois où tu es revenu chez toi d’une convention avec deux jours d’avance. Ta femme faisait la vaisselle en jupe, et toi, mutin, tu lui avais calé un doigt dans l’oigne par surprise. Quand elle avait dit « Que c’est bon, Ernest ! » alors que ton blaze est Jean-Louis, tu avais compris que ton meilleur ami, qui lui, pour le coup, s’appelle Ernest, t’avait légèrement mystifié. En remontant du doigt coquin jusqu’à ta bobine, ta femme avait pris un air de totale stupéfaction, tu t’en souviens ? Et bien Leton et Uduku vont avoir le même dans un instant.

Quand je suis entré, en effet, ils ont gardé le pif dans leurs papelards respectifs, persuadés qu’ils étaient que j’étais Durêve (voilà le genre de formule qui me sépare de l’académie Française… flûte alors !).
- Tout va bien en bas ? demande distraitement Joss Leton.
- Oui : Papa fait du chocolat. Je me suis permis de monter en haut pour voir si vous faites du gâteau ? Et au besoin pour vous aider à faire dodo, mes p'tits frères.

Comme annoncé : stupeur sur les tronches. Puis douleur sur celle de Joss qui écope d’un bon coup de crosse dans le temporal. Et moi, superbe :
- Fini de luire, mon petit Paul ! Je veux dire fini de rire. Va falloir me donner des infos, et sans tarder, bitte schön. Je ne suis pas très patient, c’est bien intégré ?

Le visage gras du gamin devient carrément gélatineux. Il acquiesce néanmoins.
- Parfait, je dis. Première question : qu’avez-vous fait au Saint-Eloi pour qu’il soit aussi légume que les conserves du même nom, et jusqu’à quand ça va durer ?
- C’est m’sieur Leton, m’sieur, répond Uduku en tremblotant. Il lui a fait sniffer un de ses produits magiques pour lui faire perdre sa volonté, m’sieur. Ça ne devrait plus durer longtemps, m’sieur.
- Bravo ! Autre question : qu’est-ce que vous voulez, toi et Durêve ? Pourquoi vous faites un carnage ?
- C’est pas moi, m’sieur !

Ma parole il se chie dessus ! Je m’approche et lui flanque une taloche des familles, ce que je regrette immédiatement, tant j’ai l’impression d’avoir flanqué la main dans une île flottante version grassouillette : une motte de beurre dans un saladier d’huile. Ça a au moins le mérite de sortir Uduku de sa torpeur.
- Je te demande pas qui, merde ! tonné-je. Je te demande pourquoi. Parle, lopette !
- J’sais pas moi, m’sieur, il chiale. C’est m’sieur Leton et m’sieur Durêve qui sont venu me chercher, mais j’sais quasi rien !

Là, je ne comprends plus. J’étais persuadé que Joss Leton, comme Enkula Jacek ou Jeannot Reliure, n’était qu’un exécutant. Un pro recruté pour son talent de chimiste (bombe pour Gigonnade, poison pour Reliure, drogue docilisante pour le gone, gaz somnifère pour le veilleur de nuit, etc.). Alors il serait aussi partie prenante dans l’organisation de cette affaire ? Moi qui lui ai filé une torgnole pour l’endormir d’entrée, j’ai l’air finaud ! Je reprends :

- Si t’es pas dans le secret des Dieux, tu dois bien avoir deux-trois tuyaux à me filer. Pourquoi t’es mêlé à ça ? Aboule !
- Bin je sais pas ! Il n’y a pas longtemps, M’sieur Durêve m’a contacté. J’le connaissais pas, ce type ! Mais il m’a proposé plein de pèze. Il voulait juste que je lui dresse une liste des gens de l’Isara qui avaient un prénom comme nom de famille.
- Pourquoi faire ?
- Bin au départ j’en savais rien, m’sieur. Juré ! Mais quand j’ai constaté qu’il y avait des morts à l’Isara, et qu’ils étaient sur la liste, j’ai flippé. M’sieur Durêve est revenu me voir, il m’a dit de ne pas m’inquiéter, il m’a refilé plus de flouze en disant que je ne risquais rien si je ne parlais pas. Et pis aujourd’hui, il m’a proposé encore plus pour piéger Eloi, m’sieur. Il voulait se servir de lui pour vous faire parler.
- Qu’est-ce qu’il voulait me faire dire ? j’interroge.
- Bin ! Le nom de celui qui a piqué la came ! M’sieur !
- Quelle came ?
- Bin j’sais pas… la came que m’sieur Leton avait caché à l’Isara et qui a disparu… ils savent juste que c’est une personne avec deux prénoms, et ils pensaient que vous aviez peut-être la réponse…

J’impose un silence. Je ne veux pas laisser ce tas de graisse penser que j’en sais moins que ce qu’il croit. Pourtant, c’est bel et bien (comme moi) le cas ! Durêve voulait m’attirer ici pour faire avancer un schmilblick qui m’échappe encore quelque peu. Mais le gusman Paul me remet un peu en selle sur le pourquoi du comment.

Je ne lui demande pas pourquoi Durêve suspecte les prénoms doubles. Je ne lui demande pas pourquoi avoir assassiné Gigonnade, Pointe et Belleride. Je sens clairement que je suis arrivé à la frontière de ce qu’il sait. Tu connais le tarif ? PAF ! La crosse dans la tronche, et hop un aller simple (qu’il se démerde pour le retour, je peux pas tout faire !) dans les bras de la belle Morphée est gracieusement offert à Uduku (j’espère qu’elle mettra ses gants, Morph', sinon bonjour les tâches de gras !).

Le gars Eloi a l’air moelleux. Je n’essaye pas de le sortir de sa torpeur : tant qu’il est docile, il ne risque rien. Or, le danger existe encore, puisque Durêve et ses trois couverts sont dans le coin, armés et potentiellement agressifs. J’inspecte plutôt les lieux. La liste de prénoms doubles, je la snobe : si Eloi et Uduku n’y voient rien de suspect, ce nez pas moi qui vais le faire, comme disait Cléopâtre.

Je m’intéresse en revanche à ce que lisait Joss Leton avant de faire la connaissance avec le manche de mon Python. Il s’agit d’un fax. Il a été plié, déplié, replié un grand nombre de fois, et j’imagine que Leton devait en être à sa millième lecture quand je suis arrivé (maman m’a pourtant dit au moins mille fois de ne pas exagérer). L’appareil émetteur devait être de piètre qualité : en trois endroits régulièrement répartis, le texte est rendu illisible par un trait d’encre horizontal barrant le papelard.

Je lis :
« Salut JL,
Comme je t’ai dit, j’ai pu accéder au logiciel de contrôle des badges de l’école. Ce qui craint, c’est que j’ai du forcer plusieurs portes : ça va forcément se voir tôt ou tard, j’espère que ce sera tard et qu’on ne pourra pas deviner que je suis dans ce coup. Les codes de sécu du logiciel vont être renforcés en tout cas.

Je pense que XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX (fax pourri).

Bref, j’ai regardé le relevé : entre le moment où j’ai contrôlé le stock pour la dernière fois et sa disparition le 22 février, une seule personne a fait 8 allées et retours dans la salle d’étude, soit à peu près la quantité de trajets nécessaires pour tout évacuer. Il s’agit de XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX (fax défectueux).

Je ne sais pas si la badgeuse donne d’abord le nom ou le prénom, je n’ai pas pensé à regarder sur le coup… mais j’imagine que tu trouveras facilement qui c’est en tentant les deux combinaisons. Comme prévu, je te laisse t'occuper des investigations. Je prends des congés avant qu’on on commence à se méfier de moi ici. Je reste bien sûr joignable, je serai dans le sud, chez
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX (fax de merde).
En espérant que tout s’arrange, signé WP »


Intéressant ! Je pige un peu mieux l’histoire, à présent. Toi pas ? Si ? Un récapitulatif ne te ferait pas de mal, peut-être. Alors sois attentif, je ne peux pas me permettre de tout répéter, mon éditeur me paye à la page, figure toi !

Alors voilà : Joss Leton et « WP » planquent à l’Isara, dans un faux plafond, une quantité importante de drogue. Pourquoi ici ? Monsieur et madame « Sais-encore-rien-mais-ça-ne-saurait-tarder » ont un fils : Jean. Un beau jour, la came disparait ! Grâce au système de badge qui régit l’Isara, « WP » arrive à dresser une liste des Isariens susceptible d’avoir piqué le magot. Malheureusement, le fax qu’il envoie à Leton est tout pourri : on n'y lit ni le nom du suspect numéro 1, ni le moyen de joindre WP, alors qu’il décide justement de décamper !

Leton est coincé : son seul indice, d’après le fax, est que le nom et le prénom du suspect numéro 1 sont interchangeables. C’est alors que Durêve entre en jeu. Est-il mouillé depuis le début, ou est-il appelé à ce moment là par Leton ? Qu'importe ! Il contacte un Isarien un peu manche, Paul Uduku, pour que celui-ci lui dresse une liste des prénoms doubles de son école. Si Durêve garde cette tanche de Paul sous le bras, c’est plus par pragmatisme que par gentillesse : il pressent qu’il pourrait avoir besoin de lui plus tard. Néanmoins, je suis à peu près sûr que l’espérance de vie d’Uduku est aussi courte dans les projets de Durêve que ton sexe dans ton slip.

Durêve commence donc à interroger les doubles prénoms, plus ou moins directement selon les cas de figure. Question centrale : « es-tu l’enfant de salaud qui a tchourré la came ? ». Les trois premiers interrogés répondent non (ou ne répondent pas, cf. N’a-qu’une-fesse). Pour rester discret, Durêve les fait descendre par trois abrutis différents afin de brouiller les pistes.

Mais un commissaire de police surdoué, aiguillé par un gone intuitif, flaire la mouscaille un peu plus vite que prévu : moi ! Ma légende me précède, et Durêve, en m’apercevant auprès du troisième cadavre, a une idée : me laisser, moi, le sublime et perspicace San-A, mettre mon nez dans le bousin pour trouver le voleur. Avec l’aide de Paul Uduku, il enlève Eloi pour avoir une monnaie d’échange contre mes infos.

Le hic pour ces messieurs les cocus de la came, c’est que je ne sais rien ! Durêve se met tous les doigts dans le prosibe s’il espère que je puisse tirer une conclusion potable.

Remarque, l’hypothèse que je n’entrave nib à ce micmac a effleuré son esprit, au Durêve : il a d’ores et déjà contacté trois mercenaires de plus pour foutre en l’air deux autos. A faire péter avec dedans, j’imagine, deux nouveaux suspects qu’il contactera si ce que je bavoche le déçoit.

Questions restantes : à quoi rime la parenthèse Reliure/Gigonnade ? Pourquoi Joss Leton, qui n’a apparemment aucun lien avec l’Isara, a-t-il eu l’idée saugrenue de stocker sa fortune ici ? Qui est ce WP, qui, lui, semble être lié à l’école ?

Durêve m’expliquera bien tout ça, non ? J’ai envie de lui faire une farce. Le fax stipule la date du vol : le 22 février. Or, j’ai dans la poche un tract de chez « Cerles & Fesses, assurances agricoles », sur lequel ce cher barbu a laissé son numéro de turlu, moins les quatre derniers chiffres, qui sont ceux de la date du vol, moins quatre jours… (quel bourbier ! il me faudrait un 4x4 !). Facétieux, je compose ce numéro en ajoutant 18 02 à la fin. La tête de Durêve, sur ses chiches, quand il saura qui l’appelle !

Ça sonne ! Et soudain retentit une petite musique derrière moi. Je reconnais « Sultans of Swing » de l’excellent groupe « Dire Straits ». Une version fadasse, pourtant, un peu électronique, type sonnerie de téléphon portable…

1 commentaire:

  1. moi je crois qu'ils auraient bien tord à l'académie française de ne pas se serrer les miches pour te faire une tit'place !
    la mêmeôphile (et pas la mémé-au-fil)

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