« La rose heure à rosée » correspond bien au petit matin
Il y a un truc dont on ne parle pas assez. Pour être plus précis, disons plutôt qu’on en parle sans y mettre la gravité y afférant. L’arroseur arrosé… ça fait plutôt poiler, avoue ! T’imagines un gusman voulant placer un seau d’eau au dessus de la porte pour tremper son pote. Manque de bol (d‘eau), le gars arrive en avance, et ouvre la porte pendant que le premier prépare son gag. Moralité : le blagueur patenté (et pas tenté par l'humour raffiné visiblement) termine avec le seau sur la poire. Ha ha, on rigole ! Pas vrai ?
Mais si t'es le type au seau d'eau ? Tu prépares la vannes de l’année, et au moment de la mettre en pratique, tu sens à travers ton futal que quelque chose de pointu te titille le fion. Y a-t-il plus humiliant ? Oui, sans doute, mais n’empêche que c’est désagréable. Et surtout, quand le seau est remplacé par une arme de poing, une dimension dramatique se fait jour. C’est un peu ce qui arrive présentement. Durêve a quitté les gogues plutôt que prévu, et il vient de me tomber sur les endosses.
Je raccroche. A quoi bon appeler par téléphone un gonze qui se trouve quelques centimètres derrière vous ?
- Belle sonnerie de portable, Yvan ! je dis. Vous me direz quel laxatif vous utilisez ? Il est si dur de trouver un remède efficace contre la constipation !
- Méfiez vous, Commissaire : vous ne savez pas où votre morgue pourrait vous mener.
- A la morgue ? je tente, taquin.
- Amusant ! Je suis heureux de vous voir bavard. Vous allez peut-être pouvoir me tirer une épine du pied.
- Je sais qui vous a chouravé la dope, Durêve, je réponds d’un ton péremptoire. Enfin disons que j’ai de sérieuses présomptions.
Je suis chaud, tu en conviendras, de balancer de pareilles déclarations !
- On ne perd pas de temps, au moins ! lâche Durêve. Mais d'abord : posez cette arme et ce téléphone au sol, et retournez-vous.
Je m’exécute (pour ne pas qu’il le fasse !). Ce barbu trapu a un magnum dans la main, un gros bide, un dargif énorme, et des cheveux quasiment crépus. On dirait effectivement un peu un bucheron sympa. Alors qu’en fait, il s’agit d’une ordure qui fait tuer des gens innocents pour se faire des testiboules en or sur de la drogue. Comme quoi, les impressions…
- Je vous écoute, commissaire. Qui a volé la marchandise ?
- Je n’ai pas le nom, là, en l’état, je précise. Un ou deux indices me manquent. En fait, pour y voir clair, je dois en savoir plus sur Joss Leton et son contact Isarien "WP", signataire de ce fax.
- Pourquoi ça ?
- Pour être sûr de ne pas vous donner une mauvaise cible, Durêve. Trop d’innocents ont été tués. Je ne me fais pas trop d’illusion sur le sort que vous me réservez. Idem pour Eloi, et même pour Uduku. Mais je veux être sûr que, si je n’arrive pas à vous foutre au gnouf pour la durée correspondant à la dégueulasserie de vos crimes, au moins le massacre aveugle cesse.
Durêve n’est pas un truand pur et dur. Les armes, ce n’est pas son business favori. Néanmoins, sa vigilance est telle que je dois gagner du temps, à défaut d’envisager une action d’éclat. Leton et Uduku commencent à s’agiter un peu : ils reprennent leurs esprits. Eloi, lui, continue à imiter une loutre paraplégique regardant un épisode de Colombo. A part le bluff, que me reste-t-il ?
- Ok, commissaire, je vous exauce, déclare Durêve. Que voulez-vous savoir ?
- « WP » travaille à l’Isara, je l’ai deviné. En quelle qualité ? Quel sont ses rapports avec Joss Leton ?
- Walter Paulo est le demi-frère de Joss, et il est habituellement veilleur de nuit ici. C’est tout simplement lui qui a ouvert les portes de l’Isara à Joss contre une part du magot. Ça répond à votre question ?
- En partie seulement, car après tout, je ne pige pas un turc : pourquoi diable avoir stocké la dope ici ? En quoi l’Isara offrait-elle plus de garanties qu’une autre planque ?
- Mais parce que personne n’était censé soulever ce faux-plafond ! s’exclame Durêve. Parce que ce bâtiment est hermétiquement fermé et surveillé en permanence la nuit, et que l’affluence y est telle le jour qu’il est normalement impossible de se tailler avec 250 kg d’héroïne sur les épaules. Mais surtout, et cela semble vous avoir échappé, parce que l’héroïne est produite ici-même, clandestinement, toutes les nuits depuis plusieurs mois !
Stupeur et stupéfiants ! De l’héroïne, produite à l’Isara ? Je revoie en flash Jean Roquet, PDG de cette vénérable école, se moucher dans mon veston en sanglotant sur ses superbes laboratoires flambants neufs et hyperfonctionnels, mais inutilisables le temps de l’enquête. Des labos de pointe…
- Alors, commissaire, ça fait tilt ? sourit Durêve.
- Joss Leton produit de l’héroïne dans les labos de l’Isara ?
- Exactement !
- Mais qui peut bien lui fournir la matière première ?
- Ce brave Pozzi, bien sûr !
- Je ne vois pas qui c’est, avoué-je un peu trop spontannément.
Joss est debout, maintenant, et Uduku semble récupérer un peu. Durêve, lui, devient suspicieux. Mes questions sont peut-être un peu trop grosses de la part d’un gars censé tout savoir.
- Durêve, mon enquête portait d'abord sur les meurtres, puis j'ai découvert la disparition de la came, mens-je... Je ne sais rien sur sa provenance, mais il ne me manque un ou deux liens pour tout piger. Si vous voulez savoir quel est le double nom qui trotte dans mon cervelet, il faut m’affranchir.
- Bien, admettons, souffle Durêve qui de nouveau et heureusement semble voir en moi un caïd de l’enquête. Pozzi est un grand dealer de la région sud-est de France. Il travaille pour une branche de la mafia napolitaine. C’est lui l’employeur de Joss. C’est lui qui le fournit en matière première.
- Pozzi, pendant des années, m’a chargé de la production d’héro pour Lyon et les environs, affirme Leton en se massant le crâne. L’équipement nécessaire à la production est sommaire même si un laboratoire et des compétences minimums sont requis pour obtenir un produit de qualité. Le hic, justement, c’est que pour Pozzi, l’héro n’est qu’une production d’appoint. Il ne me demande pas de la came de qualité, et donc ne voit aucun inconvénient à ce que je travaille dans de mauvaises conditions. Dans le labo pourri de Pozzi, je gaspillais jusqu’à 75% de la matière première pour produire de l'héro de merde !
- Je vois, dis-je pour me redonner une contenance. Le chimiste de haut niveau que vous êtes, disciple du professeur Jumel, s’est trouvé blasé de voir son potentiel gâché par un maffieux de pacotille, me trompé-je ?
- Exact ! approuve Joss. D’autant plus que je travaillais sur l’élaboration d’une héroïne pure à 100% ! Une denrée jusque là inexistante ! Un produit plus rare que l’or ou que n’importe quelle matière rare ! J’ai inventé l’héro à 100%. Une marchandise parfaite que je savais ne jamais pouvoir produire dans mon labo.
- C’est alors que votre frelot vous a parlé de son travail de veilleur de nuit dans une école toute neuve pleine de labos très modernes ! je conclue.
- Exactement ! Il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que je pouvais ici finaliser mes travaux, puis entamer une production. Il a fallu du temps… déjà, j’ai du continuer à fabriquer une petite quantité de camelote pour Pozzi, pour qu’il ne se méfie pas. Dans les installations isariennes, c’était heureusement faisable sans aucun gaspillage. Je coupais mon héro avec de la crotte pour qu’il ne voit pas la différence. Le reste me servait pour la production de l’œuvre de ma vie : un stock entièrement pur à 100%. Il m’a fallu des mois pour obtenir une réserve de 250kg. Un beau pécule pour commencer à voler de mes propres ailes en toute sérénité... Cela peut sembler modeste, commissaire, mais cela représente une fortune ! Plus de 500 millions d’euros : c’est vous dire si quand la marchandise a disparu, j’ai perdu gros[1] !
Un ange passe. Sans, hélas, faire le don d’un peu de poussière à Joss Leton ! (jeu de mots ici : poussière d'ange). Je pige de mieux en mieux. Je comprends pourquoi Durêve joue la discrétion à outrance en tuant toute personne contactée, quitte à attirer l’attention de la police. Leurrer la flicaille en la poussant à droite sur une piste de meurtres réalisés par de petites frappes pour qu’elle n’aille pas voir à gauche où se trouve une affaire de stups hors normes.
- J’y vois plus clair, les gars, déclaré-je. Mais deux détails me turlupinent : l’un d’eux, c’est la gestion du cas Fabien Henry. L’autre est celle du cas Jeannot Reliure.
- Dans les deux cas, nos choix s’expliquent par la volonté de diversifier et brouiller les pistes menant à nous, raconte Durêve. Quand Paul nous a annoncé qu’un de nos suspects montait sur Paris, nous avons voulu sauter sur l’occasion d’agir ailleurs qu’à Lyon. Alors, bien sûr, ça a desservi l’entretien que j’ai eu avec lui : impossible d’évoquer le vol de 250kg d’héroïne en plein salon de l’agriculture ! J’ai essayé de le faire lire entre les lignes, mais son manque de réaction en disait assez long : il n’avait rien à voir avec notre affaire. Je ne regrette pas d’avoir agi ainsi, même si c’était plus risqué. Vous-même, vous avez du avoir du mal à connecter ce meurtre aux autres.
- C’est vrai, admets-je. Mais Reliure ? Pourquoi le faire tuer Gigonnade ? Ce n’est pas un prénom, que je sache !
- Nous avons, encore une fois, souhaité tirer sur toutes les ficelles possibles. Paul nous a parlé de la haine de Reliure pour Gigonnade. Une excellente diversion, d’après nous. Nous avons brouillé la piste des prénoms doubles tout en créant, pour ce meurtre, un coupable et un mobile en béton !
- Ce demeuré de Reliure nous fourni en plus la cachette idéale pour planquer son cadavre sans se fatiguer. La perspective de palper une petite fortune l’a rendu loquace. Il était tellement fier de son baisodrome souterrain qu’il n’a pas pu résister à la tentation de nous faire une démonstration...
- Tout a marché comme sur des roulettes, ajoute Durêve : la grosse est morte dans la journée : Joss et Paul ont eu tout le loisir de placer son corps dans la malle. L’avorton a cané dans la soirée, pile poil quand il est repassé chez lui pour récupérer sa mégère. Il n'y avait plus qu'à le pousser dans son souterrain.
- La différence entre les heures de décès, c’est à cause de la corpulence plus importante de la grosse, explique Leton. Le Iapamordum est plus actif sur les corps gras.
- Bravo pour ce travail d’orfèvre ! j’ironise. Mais j'ai découvert les corps, et votre ruse tombe un peu à plat -de nouilles empoisonnées, ajouté-je pour la blague.
- Bah ! lâche Durêve. Nous sommes sur le point de trouver notre voleur, et vous êtes le seul poulaga à nous savoir mouillés.
- Qu'en savez-vous ?
- Je vous connais ! Pas du genre à prévoir un fourgon de CRS quand vous enquêtez... J'ai développé un sacré réseau de crapules quand j'étais en prison. Un réseau qui m'a assez bien informé sur vous. Je sais que vos habituels lieutenants sont tous retenus à Paris, Commissaire. Vous êtes venus ici seul, mais en avance, pour nous surprendre. C'est raté ! Va falloir parler maintenant.
Un nouveau silence. D’ici peu, il va falloir que j'allonge une fable crédible et un coupable. J’ai fait baver mes adversaire un maximum, maintenant ça va être mon tour. Tu me vois dans la merde, pas vrai ? Et bien écoute un peu ce que je déclare à mes vilains :
- A la lumière de ce que vous m’avez raconté, messieurs, je suis en mesure de vous dire qui s’est fort probablement approprié votre bien.
Je suis chié, non ?
[1] La rime, bien que suffisante, mériterait d’être riche !
Il y a un truc dont on ne parle pas assez. Pour être plus précis, disons plutôt qu’on en parle sans y mettre la gravité y afférant. L’arroseur arrosé… ça fait plutôt poiler, avoue ! T’imagines un gusman voulant placer un seau d’eau au dessus de la porte pour tremper son pote. Manque de bol (d‘eau), le gars arrive en avance, et ouvre la porte pendant que le premier prépare son gag. Moralité : le blagueur patenté (et pas tenté par l'humour raffiné visiblement) termine avec le seau sur la poire. Ha ha, on rigole ! Pas vrai ?
Mais si t'es le type au seau d'eau ? Tu prépares la vannes de l’année, et au moment de la mettre en pratique, tu sens à travers ton futal que quelque chose de pointu te titille le fion. Y a-t-il plus humiliant ? Oui, sans doute, mais n’empêche que c’est désagréable. Et surtout, quand le seau est remplacé par une arme de poing, une dimension dramatique se fait jour. C’est un peu ce qui arrive présentement. Durêve a quitté les gogues plutôt que prévu, et il vient de me tomber sur les endosses.
Je raccroche. A quoi bon appeler par téléphone un gonze qui se trouve quelques centimètres derrière vous ?
- Belle sonnerie de portable, Yvan ! je dis. Vous me direz quel laxatif vous utilisez ? Il est si dur de trouver un remède efficace contre la constipation !
- Méfiez vous, Commissaire : vous ne savez pas où votre morgue pourrait vous mener.
- A la morgue ? je tente, taquin.
- Amusant ! Je suis heureux de vous voir bavard. Vous allez peut-être pouvoir me tirer une épine du pied.
- Je sais qui vous a chouravé la dope, Durêve, je réponds d’un ton péremptoire. Enfin disons que j’ai de sérieuses présomptions.
Je suis chaud, tu en conviendras, de balancer de pareilles déclarations !
- On ne perd pas de temps, au moins ! lâche Durêve. Mais d'abord : posez cette arme et ce téléphone au sol, et retournez-vous.
Je m’exécute (pour ne pas qu’il le fasse !). Ce barbu trapu a un magnum dans la main, un gros bide, un dargif énorme, et des cheveux quasiment crépus. On dirait effectivement un peu un bucheron sympa. Alors qu’en fait, il s’agit d’une ordure qui fait tuer des gens innocents pour se faire des testiboules en or sur de la drogue. Comme quoi, les impressions…
- Je vous écoute, commissaire. Qui a volé la marchandise ?
- Je n’ai pas le nom, là, en l’état, je précise. Un ou deux indices me manquent. En fait, pour y voir clair, je dois en savoir plus sur Joss Leton et son contact Isarien "WP", signataire de ce fax.
- Pourquoi ça ?
- Pour être sûr de ne pas vous donner une mauvaise cible, Durêve. Trop d’innocents ont été tués. Je ne me fais pas trop d’illusion sur le sort que vous me réservez. Idem pour Eloi, et même pour Uduku. Mais je veux être sûr que, si je n’arrive pas à vous foutre au gnouf pour la durée correspondant à la dégueulasserie de vos crimes, au moins le massacre aveugle cesse.
Durêve n’est pas un truand pur et dur. Les armes, ce n’est pas son business favori. Néanmoins, sa vigilance est telle que je dois gagner du temps, à défaut d’envisager une action d’éclat. Leton et Uduku commencent à s’agiter un peu : ils reprennent leurs esprits. Eloi, lui, continue à imiter une loutre paraplégique regardant un épisode de Colombo. A part le bluff, que me reste-t-il ?
- Ok, commissaire, je vous exauce, déclare Durêve. Que voulez-vous savoir ?
- « WP » travaille à l’Isara, je l’ai deviné. En quelle qualité ? Quel sont ses rapports avec Joss Leton ?
- Walter Paulo est le demi-frère de Joss, et il est habituellement veilleur de nuit ici. C’est tout simplement lui qui a ouvert les portes de l’Isara à Joss contre une part du magot. Ça répond à votre question ?
- En partie seulement, car après tout, je ne pige pas un turc : pourquoi diable avoir stocké la dope ici ? En quoi l’Isara offrait-elle plus de garanties qu’une autre planque ?
- Mais parce que personne n’était censé soulever ce faux-plafond ! s’exclame Durêve. Parce que ce bâtiment est hermétiquement fermé et surveillé en permanence la nuit, et que l’affluence y est telle le jour qu’il est normalement impossible de se tailler avec 250 kg d’héroïne sur les épaules. Mais surtout, et cela semble vous avoir échappé, parce que l’héroïne est produite ici-même, clandestinement, toutes les nuits depuis plusieurs mois !
Stupeur et stupéfiants ! De l’héroïne, produite à l’Isara ? Je revoie en flash Jean Roquet, PDG de cette vénérable école, se moucher dans mon veston en sanglotant sur ses superbes laboratoires flambants neufs et hyperfonctionnels, mais inutilisables le temps de l’enquête. Des labos de pointe…
- Alors, commissaire, ça fait tilt ? sourit Durêve.
- Joss Leton produit de l’héroïne dans les labos de l’Isara ?
- Exactement !
- Mais qui peut bien lui fournir la matière première ?
- Ce brave Pozzi, bien sûr !
- Je ne vois pas qui c’est, avoué-je un peu trop spontannément.
Joss est debout, maintenant, et Uduku semble récupérer un peu. Durêve, lui, devient suspicieux. Mes questions sont peut-être un peu trop grosses de la part d’un gars censé tout savoir.
- Durêve, mon enquête portait d'abord sur les meurtres, puis j'ai découvert la disparition de la came, mens-je... Je ne sais rien sur sa provenance, mais il ne me manque un ou deux liens pour tout piger. Si vous voulez savoir quel est le double nom qui trotte dans mon cervelet, il faut m’affranchir.
- Bien, admettons, souffle Durêve qui de nouveau et heureusement semble voir en moi un caïd de l’enquête. Pozzi est un grand dealer de la région sud-est de France. Il travaille pour une branche de la mafia napolitaine. C’est lui l’employeur de Joss. C’est lui qui le fournit en matière première.
- Pozzi, pendant des années, m’a chargé de la production d’héro pour Lyon et les environs, affirme Leton en se massant le crâne. L’équipement nécessaire à la production est sommaire même si un laboratoire et des compétences minimums sont requis pour obtenir un produit de qualité. Le hic, justement, c’est que pour Pozzi, l’héro n’est qu’une production d’appoint. Il ne me demande pas de la came de qualité, et donc ne voit aucun inconvénient à ce que je travaille dans de mauvaises conditions. Dans le labo pourri de Pozzi, je gaspillais jusqu’à 75% de la matière première pour produire de l'héro de merde !
- Je vois, dis-je pour me redonner une contenance. Le chimiste de haut niveau que vous êtes, disciple du professeur Jumel, s’est trouvé blasé de voir son potentiel gâché par un maffieux de pacotille, me trompé-je ?
- Exact ! approuve Joss. D’autant plus que je travaillais sur l’élaboration d’une héroïne pure à 100% ! Une denrée jusque là inexistante ! Un produit plus rare que l’or ou que n’importe quelle matière rare ! J’ai inventé l’héro à 100%. Une marchandise parfaite que je savais ne jamais pouvoir produire dans mon labo.
- C’est alors que votre frelot vous a parlé de son travail de veilleur de nuit dans une école toute neuve pleine de labos très modernes ! je conclue.
- Exactement ! Il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que je pouvais ici finaliser mes travaux, puis entamer une production. Il a fallu du temps… déjà, j’ai du continuer à fabriquer une petite quantité de camelote pour Pozzi, pour qu’il ne se méfie pas. Dans les installations isariennes, c’était heureusement faisable sans aucun gaspillage. Je coupais mon héro avec de la crotte pour qu’il ne voit pas la différence. Le reste me servait pour la production de l’œuvre de ma vie : un stock entièrement pur à 100%. Il m’a fallu des mois pour obtenir une réserve de 250kg. Un beau pécule pour commencer à voler de mes propres ailes en toute sérénité... Cela peut sembler modeste, commissaire, mais cela représente une fortune ! Plus de 500 millions d’euros : c’est vous dire si quand la marchandise a disparu, j’ai perdu gros[1] !
Un ange passe. Sans, hélas, faire le don d’un peu de poussière à Joss Leton ! (jeu de mots ici : poussière d'ange). Je pige de mieux en mieux. Je comprends pourquoi Durêve joue la discrétion à outrance en tuant toute personne contactée, quitte à attirer l’attention de la police. Leurrer la flicaille en la poussant à droite sur une piste de meurtres réalisés par de petites frappes pour qu’elle n’aille pas voir à gauche où se trouve une affaire de stups hors normes.
- J’y vois plus clair, les gars, déclaré-je. Mais deux détails me turlupinent : l’un d’eux, c’est la gestion du cas Fabien Henry. L’autre est celle du cas Jeannot Reliure.
- Dans les deux cas, nos choix s’expliquent par la volonté de diversifier et brouiller les pistes menant à nous, raconte Durêve. Quand Paul nous a annoncé qu’un de nos suspects montait sur Paris, nous avons voulu sauter sur l’occasion d’agir ailleurs qu’à Lyon. Alors, bien sûr, ça a desservi l’entretien que j’ai eu avec lui : impossible d’évoquer le vol de 250kg d’héroïne en plein salon de l’agriculture ! J’ai essayé de le faire lire entre les lignes, mais son manque de réaction en disait assez long : il n’avait rien à voir avec notre affaire. Je ne regrette pas d’avoir agi ainsi, même si c’était plus risqué. Vous-même, vous avez du avoir du mal à connecter ce meurtre aux autres.
- C’est vrai, admets-je. Mais Reliure ? Pourquoi le faire tuer Gigonnade ? Ce n’est pas un prénom, que je sache !
- Nous avons, encore une fois, souhaité tirer sur toutes les ficelles possibles. Paul nous a parlé de la haine de Reliure pour Gigonnade. Une excellente diversion, d’après nous. Nous avons brouillé la piste des prénoms doubles tout en créant, pour ce meurtre, un coupable et un mobile en béton !
- Ce demeuré de Reliure nous fourni en plus la cachette idéale pour planquer son cadavre sans se fatiguer. La perspective de palper une petite fortune l’a rendu loquace. Il était tellement fier de son baisodrome souterrain qu’il n’a pas pu résister à la tentation de nous faire une démonstration...
- Tout a marché comme sur des roulettes, ajoute Durêve : la grosse est morte dans la journée : Joss et Paul ont eu tout le loisir de placer son corps dans la malle. L’avorton a cané dans la soirée, pile poil quand il est repassé chez lui pour récupérer sa mégère. Il n'y avait plus qu'à le pousser dans son souterrain.
- La différence entre les heures de décès, c’est à cause de la corpulence plus importante de la grosse, explique Leton. Le Iapamordum est plus actif sur les corps gras.
- Bravo pour ce travail d’orfèvre ! j’ironise. Mais j'ai découvert les corps, et votre ruse tombe un peu à plat -de nouilles empoisonnées, ajouté-je pour la blague.
- Bah ! lâche Durêve. Nous sommes sur le point de trouver notre voleur, et vous êtes le seul poulaga à nous savoir mouillés.
- Qu'en savez-vous ?
- Je vous connais ! Pas du genre à prévoir un fourgon de CRS quand vous enquêtez... J'ai développé un sacré réseau de crapules quand j'étais en prison. Un réseau qui m'a assez bien informé sur vous. Je sais que vos habituels lieutenants sont tous retenus à Paris, Commissaire. Vous êtes venus ici seul, mais en avance, pour nous surprendre. C'est raté ! Va falloir parler maintenant.
Un nouveau silence. D’ici peu, il va falloir que j'allonge une fable crédible et un coupable. J’ai fait baver mes adversaire un maximum, maintenant ça va être mon tour. Tu me vois dans la merde, pas vrai ? Et bien écoute un peu ce que je déclare à mes vilains :
- A la lumière de ce que vous m’avez raconté, messieurs, je suis en mesure de vous dire qui s’est fort probablement approprié votre bien.
Je suis chié, non ?
[1] La rime, bien que suffisante, mériterait d’être riche !
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