mercredi 24 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 18

« Mastard Attitude » et « Mon comportement de vedette » peuvent parfois se rejoindre.

Ah, vraiment ! Du suspense aussi insoutenable qu’une idée du FN, t’en vois rarement autant que chez moi ! Nouveau rebondissement, donc. Un homme pas bien grand vient d’entrer dans le foyer. Sur la pointe des pieds et bras tendu, il pourrait peut-être réussir à titiller mon téton gauche (plus bas que le droit d’un demi-centimètre). Il est fringué maffieux : costard noir à fines rayures blanches, chemise noire, cravate violette. Il fume un cigare long commac et est encadré par deux mastards qui nous tiennent en joue avec deux jolis pistolets automatiques. Pas besoin d’être trop finaud pour deviner de qui il s’agit.

Pour ceux d’entre vous dont le cerveau va aussi vite qu’un discours de Raymond Barre, Joss Leton souffle la réponse :
- Monsieur Pozzi ! braie-t-il.
- Ciao, Joss, répond Pozzi en rital et avec une certaine froideur dans texte.

Un truc qui m’épate assez, c’est le professionnalisme de Durêve. Des nerfs comme les siens, t’en ferais un câble de téléphérique pour obèses ! En effet, à l’arrivée de Pozzi, Durêve, qui tournait le dos à la porte, s’est bougé juste d’un quart de tour sur la gauche en gardant le bras droit le long du corps : ainsi, son magnum reste hors de vue des mafieux. Un élément à prendre en compte au moment où les salves (et non pas les slaves) vont commencer à péter dans tous les coins.

- Tu ne devineras jamais ce qui m’arrive, Joss, annonce Pozzi. Incredibile ! On m’a raconté, la semaine passée, qu’une marchandise extraordinaire se vendait sur la côte. De l’héroïne extrêmement pure. 100% pure, même ! Tu te rends compte ? En plein sur mon territoire. Molto sfortunato ! Questione : qui pouvait bien me faire une concurrence pareille ?
- Aucune idée, Monsieur Pozzi, répond Joss comme un fion larguerait une colique. Je ne m’occupe pas de vente, juste de production et…
- J’ai commencé une enquête, coupe Pozzi, et j’ai repensé à un de mes chimistes français. Un original que je n’ai jamais cru quand il affirmait être en mesure de produire une héroïne de ce type. J’ai dépêché mes hommes à ton labo pour te présenter mes excuses et pour te prier de relancer tes travaux sur cette dope parfaite : d’importants grossistes commençaient déjà à se presser sur la côté pour se fournir chez mon mystérieux concurrent. Maledizzione ! Mes hommes ont affirmé n’avoir trouvé personne chez toi. Et par-dessus le marché, le labo semblait ne pas avoir servi depuis une paye ! Sorprendente, no ?
- Je… travaille ici, désormais, explique Joss qui me paraissait pâle il y a une minute et qui désormais semble avoir avalé 5 kilos de poudre à lessive persil. J’ai fourni ce que je vous devais, je n’ai rien à me reprocher…
- Pour ça je ne me plains pas, admet Pozzi. Quoi qu’il en soit, le temps que mes hommes te repèrent, j’ai réussi à mettre la main sur mon concorrente de la côte. Je l’ai un peu interrogé en montant sur Lyon. Aldo ? Matteo ?

Les doigts du nain maffioso font « snap ! », et deux autres gorilles apparaissent, tenant dans leurs bras une sculpture d’Archimboldo. Très réussie : deux reines Claude pour les yeux, deux quarts de pomme gala pour les lèvres, une grosse fraise bien mûre pour le pif, et l’ensemble du visage en groseille écrasée. Les deux hommes de main balancent la sculpture d’Archimboldo qui s’avère être en fait Walter Paulo, mortibus autant que décédé. Joss identifie l’œuvre d’art comme tel, en tout cas.
- Walter ! geint-il en prenant un teint de vieille chaussure jamais cirée.
- Te voilà bien ému… et pour le figlio di una cagna qui t’a roulé dans la farine, en plus ! remarque Aldo, un peu taquin.

De mon côté, je crois surtout que Joss se voit très bien dans le rôle du prochain Archimboldo-fruits-rouges, et que ça ne le réjouit pas trop. Pozzi annonce :
- Ce Walter est un loquace, figure-toi. Marrant ce qu’il m’a dit sur l’origine de la came. Tu veux savoir ?
- Monsieur Pozzi ! s’écrie Joss (et s’écrit cette phrase). Ok j’ai essayé de vous doubler, mais je suis prêt à tout recommencer… recommencer pour vous !
- Che interessano ! ironise Pozzi.

Moi tu sais, le numéro à trois francs (anciens) de Pozzi, on me l’a fait trente-six fois, et ça commence à me tartir en plein. Le chef de l’organisation de malfrats, doucereux et ironique quand il est en position de force, ça va bien une minute ! Personne n’est dupe, à la fin. Il va fait tirer ses soubrettes sur nous tôt ou tard, on l’a compris, merci. A quoi bon en faire des tartines ? Je m’emporte donc :
- Et si vous nous disiez clairement ce qui va se passer, mon vieux ? Vous croyez vraiment qu’on a que ça à fiche d’écouter vos tartes à la crème maxi-formats ? Vous voyez pas que Leton a déjà chopé un ulcère carabiné à vous entendre faire le kakou de bas-étage ? Ça vous bicher de le martyriser à ce point ? Faites péter les ordres, nom de gu : quid de Leton, quid de nous, et li-quid vaisselle. Presto !

Le gars Pozzi a appris son rôle par cœur : il ne s’énerve pas et se contente de soulever son sourcil gauche des 2.27 centimètres réglementaires, comme stipulé dans le Guide des Maffieux à la Noix, chapitre « Flegme face aux provocations des futurs assassinés ». Et pour rester sur la ligne jusqu’au bout, il refait « snap ! » avec ses doigts.
- Liquidez-moi les baudruches, pas touche à Joss pour le moment.

Les quatre hommes de Pozzi opèrent lentement : ils ignorent la présence du python à mes pieds et celle du magnum dans la main de Durêve. Pour eux, ça ne va pas être bien dur de nous faire notre fête. Comme quoi il ne faut jurer de rien !

Je plonge au sol à l’instant précis où Durêve se jette derrière un canapé du foyer. Jusque là, nos Dalton croient à une pulsion désespérée : on se planque pour prolonger nos misérables vies d’une minute. La gueule des mecs quand on se met à défourailler ! Pozzi, tout soudain, perd son flegme : en 1 seconde et 33 centièmes, il a vidé les lieux et je le soupçonne également de vider sa tripaille dans son bénard !

Les quatre gorilles se jettent à leur tour derrière tout ce qui pourrait être plus solide qu’eux. Le python et le magnum font du dégât : ni Durêve, ni moi-même n’avons touché qui que ce soit, mais nous laissons de gros trous dans tout ce que nous atteignons. Ça fait flipper, ça impressionne ! Quand deux gros calibres s’en prennent à toi, il faut toujours un petit moment avant de se lancer dans une riposte valable, ce qui me laisse le temps de faire un point non pas d’exclamation, ni même d’interrogation, à la rigueur de suspension, mais avant tout de récapitulation.

Eloi reste connement assis, droit comme un angle du même nom, devant son bureau. Je me jette jusqu’à lui, renverse le susdit bureau et fait verser le tabouret du gone, qui bientôt se trouve comme moi nez-à-nez avec les moutons de poussière du foyer de l’Isara. Ce qui ne le fait pas bêler, mais plutôt éternuer. Et alors, miracle : soudainement, il retrouve ses esprits, sa lucidité, sa clairvoyance, son acuité, sa conscience et son libre arbitre (faut quand même être sacrément bordélique pour perdre tout ça !).
- Ça bastonne comme à Chicago ? il demande alors que les sbires de Pozzi commencent enfin à jouer le jingle de RTL avec leurs gachettes.
- C’est vrai ! Et dans notre bande on est que deux ! l’informé-je. Bientôt plus, j’espère...

En plongeant au sol, j’ai récupéré mon arme en même temps que mon portable. Le fin du fin est que l’engin en question fonctionne depuis l’arrivée de Durêve ici-même : j’ai réussi à lancer discrètement un appel vers le Rouillé juste avant que le barbu ne m’intime de poser mon tubeur au sol. Le temps que j'ai réussi à gagner a du permettre à ce cher Ma-chiasse (pardon : Mathias) d'organiser une riposte.
- Mathias ! je crie dans le téléphone. Il va falloir te grouiller, et surtout pas te Grouchier !
- Les renforts sont en route patron ! répond le Flambé.

Je n’en saurais pas plus : mon téléphone, qui ne vient pas plus de Bâle que du bal, vient de morfler une... tu sais quoi ? Bon. Paul Uduku, lui aussi, a tenté d’arrêter la trajectoire d’une bastos avec la tête : balle lui en a pris (si j'ose dire), il s’est affalé tel un flamby. Joss Leton s’est, lui, ramassé un projectile perdu dans une guitare avant de s’écrouler sur le sol en hurlant de douleur.

Pendant quelques secondes, rien de bien décisif ne se passe : on défouraille tous un peu au pif. Personnellement, je n’ai repéré que trois maffieux. Le quatrième, je l’ai perdu de vue quand je m’occupais du gone Eloi. Tant pis : je me concentre sur l’un des autres. Tiens, ce maigrelet, là, mal planqué derrière la machine à café et avec sa coiffure en dessous de bras… poum ! Entre les lotos, et une bonne dose de cervelas sur le mur derrière lui !

Un instant, je crois avoir fait d’une pierre trois coups : le silence vient de tomber sur le foyer. Tombé de haut, en plus, apparemment ! Je risque un lampion au dehors : trois nouvelles silhouettes armées viennent de rabouler. Il s’agit des trois hommes encagoulés de Durêve, avec leur dégaine de couverts. Ils ont dézingué les deux maffieux restant par derrière, mettant fin à l’échange d’amabilités. Ça m’arrange assez, je n’ai plus une seule balle en magasin. Mais en même temps, y gagne-je vraiment ? Pas sûr que ces nouveaux protagonistes me laissent faire recharge !

- Vous êtes au poil, les gars ! souffle Durêve en se relevant. Va pas falloir lambiner, la rousse devrait rappliquer en moins de deux. Terminez-moi ceux qui sont encore vivants, sauf Joss : je crois qu’il faut faire une croix sur les 250 kg de came, faudra donc relancer un labo de *PAN* argl ! mais putain qu’est-ce qui vous prend de *PAN* aïe, arg *PAN-PAN* raaaah…

Je suppute que tu es surpris autant que moi de constater que l’un des hommes de Durêve, en l’occurrence l’Assiette, vient de vider une partie de son chargeur sur son employeur. Pour Durêve aussi, visiblement, l’évènement était quelque peu inattendu. J’entends le couteau rouscailler :
- T’es chié à n’en plus pouvoir, ma parole ! On le connaissait pas ce mec, merde !
- Et ceuss’ qu’on vient juss’ de bousiller par l’prosib’ t’avais leur Curry Cul l’Homme Vite-taillé dans ton attache-et-caisse, peut-être ? demande l'assiette.
- Ceux-là étaient dangereux, Alexandre-Benoit, car ils menaçaient directement notre ami, il était donc normal d’agir, intervient la fourchette d’une voix de vieux bouc constipé. Je crois que Jérémy a raison : celui-ci ne représentait aucun danger.
- I’v’nait de slipuler de manière clarinette une demande d’assassinat sur la personne de Sana ! riposte l’Assiette. Fallut-ce que je lui fisse un calin ?

J’ai envie de chialer ! Pas toi ?

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