lundi 8 mars 2010

San-Antonio à l'Isara : Chapitre 14

« Con, ce type, à Sion » est loin de valoir « Brillant, San-Antonio, à Lyon »

Dehors, c’est possible qu’il fasse nuit. Mais dans l’Austin Mini, pardon ! La chevelure du flamboyant rayonne comme un soleil de Juillet. J’ai emprunté la tire de Marie-Emeline pour que nous allions, le Rouque et moi-même, jusqu’à l’Isara. C’est de là que Mathias suivra les opérations.
- Mon turlu est en mode vibreur, Rouillé, n’hésite pas à me tuber si de l’extérieur tu perçois quelque danger. Je le place en outre dans la poche révolver de ma chemise. En cas de pépin, j’enclenche l’appel : tu pourras ainsi entendre tout ce qui se passe (et me dépasse) de mon côté : c’est une astuce sensass que j’ai pu tester tout à l’heure. Si ça sent le roussi à plein tube, t’es autorisé à rappliquer coudes au corps. Si c’est une mouscaille relative et peu pressante, appelle plutôt les roussins à la rescousse. Je sais bien que tu es plus à l’aise avec une burette qu’avec les malfrats.
- J’aurai sans doute mieux à vous proposer, patron, réplique l’Albinoche avec un sourire mystérieux.

T’as envie d’en savoir plus ? Moi aussi ! Mais je sens bien qu’il veut me réserver la surprise. Quel super outil, quelle trouvaille technologique, quel bricolage futuriste va-t-il me sortir, cette fois ? Je ne tente pas de pronostique : ce loustic scientifique a le chic pour dépasser mon imagination (ne parlons pas de la tienne !). Je pourrais lui poser des questions, essayer d’en savoir plus, mais je connais ce faciès énigmatique. Le flambant se ferait péter les deux genoux avant de lâcher le morcif. Pire, il sacrifierait ses quatre mômes préférés, je suis sûr[1] ! Alors que veux-tu ? Je vide les lieux pour aller en remplir d’autres.

Aux abords de l’Isara, je note la présence de la Twingo d’Eloi. Le gone est-il venu ici sous la contrainte, ou de son propre chef ? En tout cas, il est probablement déjà là, malgré mon avance, sans doute avec Joss Leton le chimiste, Paul Uduku l’étudiant ripoux, et Yvan Durêve le DRH de la pègre. Deux accès s’offrent à moi (pour ne pas être en reste, je me présente à eux, faut bien un peu de réciprocité !) : un portail pour les étudiants, qui donne sur la cour du bâtiment, et une entrée plus officielle, toute en portes vitrées, pour le personnel.

Je gage que le second accès cité favorise la discrétion… va pour les portes-vitrées ! De nos jours, tu sais, mon sésame a la vie dure (quand d’autre ont la biture). Les bonnes vieilles serrures sont en voie de disparition, ma bonne dame ! Au présent du dissuasif, on décline tout un merdier électronique, et le verrou relève de l’anti-intempestif passé. Pour entrer ici, même par effraction, il ne faut pas une clé mais un badge. Par chance, Mathias m’a refilé un passe partout moderne tout plein : une carte à puce qui fait sa fête à « la plupart des systèmes de sécurité de base », d’après le brasero.

Un test en atteste : grâce à la carte, je rentre dans l’Isara comme le gladiateur entre dans la reine (pardon je voulais dire l’arène) : sans difficulté, mais conscient que le plus dur est à venir (Note à Benêts : ça semble marcher aussi avec la reine…). D’emblée, je capte une odeur suspecte. C’est trop léger pour avoir le moindre effet sur moi, mais il n’y a pas de doute : c’est un gaz soporifique qu'on a balancé par ici. Mais toi, tu me connais ? Pas du genre à tourner bride au premier problo venu, pas plus que de tourner de l’œil à la première odeur sentie (sans tee non, d’ailleurs, à quoi servirait-ce, je vous prie ?). Je m’avance donc, prude amant (quelle blague !), dans le hall. Bonnart ! L’odeur est belle et bien en cours d’évaporation : ce n’est donc pas un piège destiné à ma modeste mais brillante personne.

Une légère vibration se fait soudain sentir dans le silence du hall : un des ascenseurs vient de se mettre en mouvement. Un rayon de lumière entre les portes m’indique qu’on s’arrête précisément au rez-de-chaussée. Dans cet espace entièrement vitré, qui donne (quelle générosité !) sur la rue très éclairée, tu parles si je suis visible ! Je bondis, non pas à Bondy, mais derrière le bureau d’accueil, derrière lequel un corps mou m’accueille à bras ouvert. Il s’agit du veilleur de nuit, aussi dynamique qu’Etienne Daho. Et pour cause ! Il a du respirer le gaz tsé-tsé à plein soufflet. Tapis à son côté, je mate la saynète que l’on joue devant moi.

Trois personnes cagoulées sortent de l’ascenseur, éclairées par la lumière d’icelui. On se croirait à table : le type de gauche, avec sa cagoule aplati, évoque une fourchette. Le gros du milieu a une silhouette si ronde qu’on jurerait voir une assiette. Le type à droite, lui, a une chouette cagoule type KKK (cas caca), bien pointu, qui rappelle un couteau. Tous trois s’installent dans les fauteuils meublant l’accueil.

Ils sont vite rejoints par un quatrième gus, qui lui arrive par l’escalier principal. Il s’agit d’Yvan Durêve.
- Z’êtes pas cons, non, de prendre l’ascenseur ? rouscaille-t-il à voix basse et avec son léger accent sudiste (que l'on remarque quand on l'écoute mais pas quand on le Lee). La lumière a du se voir de loin ! Pourquoi pas accrocher des lampions, tant qu’on y est ?
- C’est sa faute, chef, répond la Fourchette en désignant l’Assiette.
- Faut dire qu’après une journée passée dans un parking souterrain à scruter des peignes-cul en train de remiser leurs tires, j’ai les articulations trop rouillées pour prendre l’escalier, justifie l’Assiette.
- Vos gueules, interrompt Durêve. Vous avez repéré les voitures de nos clients ?
- Oui, répond le couteau. Les deux.
- Piégeables ? demande Durêve.
- Absolument, affirme le couteau. Avec nous, toutes les guindes sont bonnes à piéger, vous le savez bien.
- Bon. Avec un peu de chance, on aura pas besoin de les faire péter… murmure Durêve.
- Le poulaga a des infos ? demande la Fourchette.
- Je l’ignore, répond Durêve, apparemment tendu. Je l’ai appelé pour lui donner l’horaire du rendez-vous : 5 heures, comme on a dit. Mais il ne répond pas, je ne sais même pas s’il a eu mes messages… peut-être que c’est une ruse et qu’il viendra quand même. Peut-être que son téléphone est HS, et alors on l’a bien profond. Peut-être qu’il attend tout simplement l’ensemble des infos pour agir…
- Programme ? demande le couteau.
- Dans un peu moins d’une heure, je l’appelle pour lui donner le lieu de rendez-vous, on continue donc comme prévu, en espérant qu’il répondra, cette fois.
- On pourrait être utile, ou est-ce qu’on peut rentrer chez nous en attendons votre éventuel feu vert pour les deux autos ? demande l’Assiette.
- Allez chercher vos armes. Vous allez patrouiller un peu au rez-de-chaussée. S’il essaye de nous blouser, autant prendre des mesures de précaution. Prière de viser les jambes : ce type en sait peut-être plus que nous, et dans ce cas, je veux qu’il parle. Pigé ?
- Pigé, assure le couteau.
- Alors allez-y. En cas de pépin, vous me trouverez au troisième, dans le foyer des étudiants, avec Joss et les deux mômes.

Nos quatre voyous se séparent : Durêve retourne dans les étages, les trois autres vont chercher leur arsenal au sous-sol. Inutile de te dire qui je suis. Le premier qui répond « San-Antonio » est une grosse chèvre repoussant les limites inférieures du QI humain !

Durêve, contrairement à ce qu’il a affirmé aux autres, ne va pas au troisième étage. Il fait un arrêt dès le premier. Tu sais pour quoi faire ? Pour visiter les cagoinces. On me dit souvent que je ne fais pas dans le réaliste. « San-A ? Des fariboles ! » Faut-il être ignare pour affirmer de telles couenneries ! C’est un manque d’objectivité crasse. Car enfin, citez moi une fiction où le grand méchant prend le temps d’aller aux chiches en plein pendant l’action ? Chez Agatha Christie peut-être ? Chez Alexandre Dumas ? Chapitre 10 : où Porthos décide d’aller poser sa crotte pendant que d’Artagnan lâche une flatulence dans le cabinet de Tréville. Nenni ! Mais chez moi, c’est la vraie vie : les personnages sont faits de viande authentique, et ils en payent les conséquences.

Un concert de pets secs se fait entendre. Je te rassure : je ne tombe pas dans le scatophile gratuit. La constipation de Yvan Durêve (qui porte très mal son nom actuellement, Tafoison me semblant plus approprié) n’a pas vocation à aérer ma prose, si j’ose dire. Elle va même avoir son utilité : notre barbu semble être coincé ici pour un moment. Les couverts de service vont rester au rez-de-chaussée. Pourquoi est-ce que je n’irai pas un peu voler dans les plumes du foyer des étudiants ?

Discrètement, je m’esbigne, et je grimpe les deux étages restant quatre à quatre. Je repère directement le foyer : c’est la seule salle éclairée. Je m’approche à pas de loups et passe un œil dans l’espace vitrée de la lourde. Qu’y vois-je ? Qui vois-je ? Les rideaux du foyer ont été hermétiquement fermés pour que la lumière ne se voie pas de l’extérieur.

Joss Leton est plongée dans la lecture d’un document. Comme cette excitée de M. Aitrenfilée l’affirmait, il a un menton extra long, bien arrondi, les cheveux ras, et pout tout dire pas vraiment une dégaine de chimiste surdoué, mais plutôt celle d’un musicos, type guitariste. Uduku est un jeune porc, gras de partout. Ses cheveux sont passés dans une friteuse, son visage luit plus qu’une flaque d’huile. Eloi et lui sont également en train de potasser des papelards. Pourriture, ce gone ! Il travaille en bonne entente avec les vilains depuis le début, alors ? Pourtant, j’aurais mis mon slip au feu qu’il était réglo… Minute ! Etudions la scène d’un peu plus près, pour voir ?

Uduku demande :
- Peut-être Julie Olivier, la nana de première année ?
- Connais pas, répond Eloi d’une voix étonnamment monocorde. Peut-être.
- Michel Sylvain, le responsable de la filière alcoolisme ?
- Bof. Ce type plein de morgue, de fierté, avec son maxi-complexe de supériorité, aurait refilé la came à la flicaille. Trop content d’avoir son nom dans les journaux. Ce type nous rabat déjà bien assez les oreilles quand il apparait dans Vin Rouge Magazine…
- Jean-Marcel Luc, alors ? De l’administration ?
- Je ne pense pas non plus. C’est un gros tas de saindoux bien incapable d’un tel coup d’audace. S'il avait trouvé la drogue, il aurait tout laissé en place et n’aurait plus remis les pieds dans cette partie du bâtiment pendant cinq ans.
- T’as déjà couché avec Marielle, la pétasse la promotion 69 ?
- Deux fois, répond Eloi, la voix toujours aussi neutre d’un Helvète centriste.
- Trop marrant, cette potion, ricane Uduku.
- Ce n’est pas un jeu ! tempête Joss en levant la tête. Les effets sont limités dans le temps, il faut lui poser des questions pertinentes !
- Tu vois bien qu’on arrive à rien, réplique Uduku, boudeur. On voit pas qui, parmi ces 10 ploucs, aurait pu vous piquer la came, ni lui, ni moi. On perd notre temps ! En plus, vous les avez déjà quasiment tous cuisiné, non ?
- Mêle toi pas trop de ce qu'on a fait ou pas, conseille Joss. On veut ton avis sur toute la liste. Réfléchis un peu merde, creuse toi le ciboulot.

Et tout le monde repique silencieusement du nez dans les papelards…

T’as pigé ? Non, bien sûr, mais je suis là pour éclairer ta lanterne. Joss Leton, qui excelle dans la conception de drogue, a imposé à Eloi un coup de snif dans un de ses produits maison. Un produit qui le rend docile ! Voilà pourquoi il a suivi les autres avec le sourire tout à l’heure. Et voilà pourquoi il collabore avec ce trou de balle d’Uduku. Le gone est régulier, donc, et ça me rassérène à bloc ! Pour être exhaustif, je peux même t’affirmer que ça me donne la motivation nécessaire pour entrer en scène, mon superbe python serré entre mes salsifis tripoteurs.


[1] Il leur a laissé le nom de jeune fille de sa maman (Taliage). Pour bien faire, il leur a donné à tous le même prénom : Jean. Ça fait quatre Jean Taliages ! (on m'a forcé à faire cette blague)

2 commentaires:

  1. Vas-y Eloi ! c'est du bon boulot ! continue on veut savoir la suite...
    mais serais je la seule à te suivre dans cette aventure de SanA ?
    je ne vois pas des masses de commentaires....
    la Sanatéloitophile

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  2. Sans doute que les lecteurs, qui me lisent en book, font comme d'habitude : ils dévorent en la bouclant !
    Y a que toi de moderne.

    Sana

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